La réussite est un vain mot. La seule définition pertinente que je lui connaisse est de Françoise Sagan : « Qui peut se vanter d’avoir rater sa vie ? ». Il n’empêche que dans notre république du tous Ego, nous courrons désespérément après les signes extérieurs de notre image. Attention Danger !
La réussite n’en paraît une que si elle colle à l’air du temps. La crise a sifflé à fin de la récréation : exit notre société d’hyper communication, place à un penser autrement, dépenser autrement, communiquer autrement, paraître autrement. Notre mode de vie change de mode. Manger des fraises en hiver : aberrant. Rouler en 4x4 en ville : provocant. Faire ses courses à 30 minutes de chez soi dans un hyper : exaspérant. Etaler sa réussite aujourd’hui se résume donc à manger bio (j’ai changé d’épicier), rouler électrique (j’ai commandé la Blue Car de Bolloré), faire ses courses au hard discount du coin, préférer Zara à Prada, (plus le jean est troué, plus votre image est clean). Adieu stress et strass, adieu fric et frime, bienvenue dans le monde de l’alter-consommation.
Le chic du chic désormais, est la low attitude : low cost, low profit, low profile, low conso, low ego. Réparer le repérable, jeter le jetable (je me suis acheté le dernier Gilette Fusion 6 lames et toute la panoplie des soins de toilette Occitane). Au feu mon YSL pour homme, jamais mis en doute depuis que ma mère me l’offrit pour mes 18 ans. Désormais, je suis écolo jusqu’à l’after-shave.
Autre objet indispensable à l’entrée dans le club des anciens riches : un vélo Decathlon et tout l’équipement qui va avec. J’ai remisé mes clubs de golf derniers cris, mes skis dernier look, mes raquettes dernier hit pour la panoplie complète du Tour de France. Après le Bio, le populo.
Coté garde-robe, le col Mao est de rigueur, acheté en solde à la Maison de La Chine. Seul biens autorisés, que dis-je, imposés : le dernier Apple, le dernier E-book, le dernier Ipod, le dernier Ipad, le dernier Iphone, doublé du dernier Blackberry. Sur le plan techno, rien ne doit vous échapper, il y va de la survie de votre réputation professionnelle. J’ai l’attirail complet sans renier mes racines et démontrer par mon stylo que je suis un homme de plume. Je m’enorgueillis d’un Tempo à encre bleue, corps en opale coiffé d’un embout d’argent, qui ne s’achète qu’au Japon. Etre un ancien riche ne signifie en rien que l’on est pauvre, ou pauvre d’esprit.
Reste les bijoux : la gourmette Cartier, le bracelet Hermes en poils d’éléphant sont à ranger au grenier des souvenirs machos. Arborer au poignet trois ou quatre rubans aux couleurs fanées, ces colifichets hippies venus du Brésil, témoignent que vous êtes soit un père aimé, soit un amant adulé. Seul attribut mondain encore autorisé : une Rolex. Mais achetée d’occasion et vieille d’une ou deux décennies, histoire de montrer que vous n’avez pas attendu 50 ans pour réussir votre vie. Mais ne prononcez jamais le nom de cette marque à la télé, vous passeriez pour un traitre de la low attitude. J’ai essayé, je n’en suis toujours pas remis.
Jacques Séguéla
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