vendredi 1 juillet 2011

Préface pour Edourad Moradpour

Moscou est blanche, non de neige mais de pollution. Depuis sa « libération », la place rouge ne quitte plus son blanc manteau de brouillard de particules. L’indépendance se paie cash en tonnes de CO2. Edouard est venu me cueillir à la descente d’Air France, comme on cueille une rose avec flegme et délicatesse, sa double marque de fabrique. Je dis Edouard, entendez le Prince Edouard, Prince de la lumière de la pub et des ténèbres de la Russie business. 

Eternel French Lover et séducteur patenté, il ne pouvait que succomber au charme fatal des anges russes. Sa vie n’est qu’un aller/retour entre ses deux amours, la pub et les femmes. Le premier le rendra riche, le deuxième adulte. 
En chemin, il m’annonce l’anniversaire de sa fiancée. Au premier fleuriste, je cueille à mon tour treize roses blanches et court les lui offrir.
 L’immeuble a l’infirmité de ces entrées de villes ex soviétiques héritières du mauvais goût de leur dictature sans fin, ni honte. Cossu, propret, impersonnel et incolore, il ne fait que mieux préparer la descente d’escalier de la « compagne de Russie ».

Elle ne marche pas, elle glisse telles les fées des contes d’Andersen. Elle ne parle pas, elle murmure tels les blues américains, elle n’écoute pas, elle plane, telles les danseuses du Bolchoï, irréelle de beauté et de charme mêlés. Deux atouts de l’éternel féminin d’ordinaire s’autodétruisant, chez elle, ils fusionnent. 
La rencontre ne durera que l’espace d’un baiser sur la joue, mais elle est l’une de ces gouttes de bonheur qui font l’océan de nos vies. Je promis de revenir avec Edouard goutter son borg et sa vodka, dès mon prochain voyage. 
Il n’y aura pas d’autre visite. 

Pourquoi faut-il que les anges passent sur terre en la frôlant plutôt que de s’y arrêter ? Ont-ils peur de succomber, peur de souffrir, peur de vieillir. Ou sommes nous incapables de leur faire la vie belle sur notre planète. 
Six mois plus tard, le Prince noir de douleur m’apprendra la nouvelle. Ma reine d’un jour était retournée à ses nuages, nous laissant à nos chagrins, nos regrets, nos remords. 
Mais pourquoi si vite, pourquoi si mal? Ce roman d’une vie, vous en donnera peut être la clé. 
Quelle folie fatale traverse-t-elle l’âme d’une jeune femme pour la pousser au pire. Sans prémices, sans cri d’appel, sans raison apparentes. Quel gâchis de la vie, quelle blessure de l’amour, quelle croix à porter. Elle est au ciel, et nous laisse sur terre. 

Le prince noir y a perdu une part de sa passion de vivre et de sa raison d’être. 
Seul antidote au désespoir : l’écriture, elle est la meilleure des psychanalyses. On couche ses maux sur le divan de la page blanche pour exorciser le mal et expurger la douleur. Nul n’en sort indemne, le publicitaire, devenu écrivain par la force du souvenir, n’est plus tout à fait l’Edouard insouciant et triomphant que j’ai connu. La double traversée des méandres de cette Russie qui s’éveille et des ressacs de cette passion endormie à jamais en ont fait un homme. Il était temps. 

Au delà du roman, ce livre est l’autobiographie non autorisée d’un repenti. L’époque ne l’est-elle pas ? Nous quittons les rives du fric et de la frime, de la violence et de l’impudeur, de l’injustice et de la facilité, dont la Russie en folie est le paroxysme. Mais tout lasse, tout passe, tout casse. Après avoir épuisé les vices du capitalisme, Moscou découvre ses vertus. Ces pages sont le passage de témoin d’une fin d’un XXe siècle soviétique aux abois vers son XXIe qui invente sa liberté, et en symbiose, la love story tragique d’un enfant gaté de la pub qui le conduira au cœur de l’essentiel : la découverte de l’Autre. Un voyage au bout de l’enfer ! 

Si vous êtes, comme je le suis, un amoureux de l’amour, vous refermerez cet ouvrage en murmurant les rimes qui on bercé votre jeunesse : « les chants désespérés sont les chants les plus beaux, j’en connais d’immortels qui sont de purs sanglots ». 

Bon voyage ! 

Je vous souhaite des larmes plein les yeux. 



Jacques Séguéla

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