vendredi 18 novembre 2011

Préface Quasar Khanh

  Je me souviens. Giscard jouait de l’accordéon, Dali peignait la gare de Perpignan, Johnny aimait Sylvie, Bardot les Harley Davidson. La France débarrassée des fantasmes de 68 vivait béate ses dernières années de quiétude bourgeoise. Pétrole, chômage, Sécu, yen, Europe, connais pas ! La vie coulant de source, la notoriété suffisait à construire une image. Le desing créait la mode, le consumérisme n’était encore qu’une curiosité américaine, le marketing un mot neuf, la pub, à peine sortie de la réclame, un artisanat frivole. Le consommateur bon enfant et publiphobe pensait la pub mensongère, mais la suivait aveuglément. Ma mère plus prude, ou plus craintive, préférait me croire pianiste dans ce bordel que fils de pub. Nul journaliste n’aurait osé écrire une ligne sur ce métier en herbe. Et d’ailleurs le terme pub n’avait pas encore été inventé. Une profession existe-t-elle avant d’avoir un surnom ? 

Je me souviens. A l’agence nous étions moins de dix. J’étais concepteur, rédacteur, graphiste, maquettiste, prospecteur, chef de pub, directeur des médias, patron, et bien évidemment hâbleur. Bref l’existence était belle, puisqu’elle débutait. Comme la publicité. 

Feldman, Brochand, Tragos, dents longues, haleine fraiche, mordaient les talons de l’establishment. Bleustein et Douce régnaient en despotes et personne n’aurait pu penser à leur déclin, un jour. Les agences yankees, opulentes et méprisantes, brandissait leur copie-stratégies et faisaient régner la terreur sur une race de pseudo-créatifs serviles et manipulés. Le marketing la ramenait, bien que bégayant. Il marchait sans se retourner dans un désert d’incompétence, loin de s’imaginer que le public était une mer dont il découvrirait bientôt les flux socio-culturels et les courants porteurs. Les stratégies lavaient toutes plus blanc, au risque de se confondre. A coups de promesses-consommateurs et de reason-why il suffisait d’asséner son plus-produit pour que les ventes s’emballent. Point n’était besoin de jouer les sorciers, la seule affirmation d’une marque suffisait à la rendre célèbre. 

Bref, inventer en ces temps besogneux n’était pas inventif. Il suffisait pour se faire remarquer de prendre le contrepoint de la grisaille de mise. La première philosophie de l’agence fut simple, voir simplette, et dans tous les cas réaliste. Elle se limita à une volonté : être élémentaire, et un courage : avoir du talent. Comment être aimé par cinquante millions de consommateurs, s’ils ne vous comprennent pas ? Comment les intéresser, si vous ne le étonnez pas. Provoquer est ma seconde nature, j’étais dans mon élément. 

Bien m’en pris, si les publicitaires s’enlisaient dans l’indolore et l’inodore, le public lui s’émancipaient. Il prônait la rébellion et la mort des tabous. Je pris sans peine la tête de la provoc et de la subversion. Le consommateur, en qui toujours sommeille un novateur, accourut à la manif 

Je n’étais pas le seul à m’approprier les slogans de 68 : sous les pavés... la pub. Dans les autres domaines de l’expression du temps se fomentait la génération créa, celle qui imaginer réinventer le monde, et notre maître à tous Quasar Khanh. Son prénom était une caresse, son nom un coup de fouet et le tout une marque exotique et indéchiffrable qui nous émerveillait. Il n’était pas dans la pub mais presque, connaissant ses rouages et ses rêveries, la mettant au service de sa gloire naissante avec empathie et emphase. Et la pub aime ça, telle la charité chrétienne, la meilleure commence par soi-même. 
Quasar nous avait tous devancé. A 30 ans, il était ce qui rêvions d’être le génie en marche hors des sentiers battus du conformisme franchouillard, cumulant les deux titres d’inventeur maitre des sciences appliquées et designer façonneur de l’esthétique du moment. 
Son diplôme de l’école nationale des Ponts et Chaussées nous paraissait l’Himalaya universitaires réservé à quelques surdoués chargé d’inventer demain. Il ne s’en était pas privé. Les bancs de l’école à peine quittés, il dépose, à 26 ans, Jules Verne soixante huitard, un brevet révolutionnant les tests de barrages à voutes multiples, un an plus tard Steve Job en herbe, il se plonge dans le cœur de l’informatique naissante et l’applique à ses recherches. A 30 ans il joue les André Citroen du futur et créé la première la voiture urbaine transparente. Il enchaine, devenu le Starck de sa génération, la création d’une gamme de mobilier gonflables qui vont faire sa réputation et sa perte. La France n’aime pas les génies solitaires. 
Revenu de mon tour du monde en 2 cv, je produisais à cette époque, avec ma femme Anne-Marie Dubois Dumée, une émission de télévision ancêtre du Paris Pékin d’aujourd’hui. Le jeu était de sélectionner des globe-trotters médiatiques qui à 20 ans, partaient à la conquête du monde. Le ton se voulait in, nous choisîmes de la meubler en Quasar, notre amitié débuta. 
J’eu l’insigne privilège d’être admis dans le cercle Khanh qui fut aux sixties et seventies ce que celui de Madame de Récamier fut à la restauration. J’eus mes entrées rue Leverrier devenu la succursale intime et branchée de la Coupole avant que le couple ne franchisse la Seine pour s’installer à Garches, dans un somptueux palais trente, digne de Bauhauss et convie le tout Paris de la mode, des arts et des lettres à déguster la cuisine chinoise de Madame Khanh mère. 

La table était ouverte mais la discussion plus encore, Quasar ne cessant de courir après ses utopies et nous entrainant à sa suite. Seule Emmanuelle freinait la course, l’inventeur du prêt à porter de marque nous ramenait sur terre. Et pour cause, c’est elle qui nourrissait la tribu. Première femme logo de l’empire de la mode, chignon de gitane, yeux de braises, lunette à la Scorcèse, peau de nacre, silhouette d’ébène, elle incarnait la grâce, le charme, l’esprit d’une féminité refusant le féminisme, alors de saison, mais affirmant son autorité. Elle était la reine noire de cette volière bohème qui faisait et défaisait les tendances et les scoops. 
Fascinant couple, melting pot de passion et de création, de mystères et de chimères, d’évangélisme et d’exotisme. 
Fulgurant Quasar, géni improductif car jamais produit (mais ne le sont-ils pas le plus souvent), brûlant sa fortune sur le bûcher des idées impossibles tel Bernard Palissy le découvreur de l’email qui consuma l’ensemble de ses meubles pour alimenter le foyer de son invention. 
Envoûtante Emmanuelle, forte de son talent, faible de son amour, sans elle, cette œuvre mi fantaisiste, mi fantasmagorique n’aurait jamais existé. 
Et pourtant… elle existe dans les esprits, c’est la plus belle des places fortes où se réfugier pour traverser les ans et les frontières, cet ouvrage en témoigne. 
Quasar est le seul vietnamien qui est dans le Larousse, ses meubles gonflables donnent de l’air à Beaubourg et à quelques grands musées du monde, sculpture transparente, pliable, nomade, durable dont la seule faute fut d’avoir un demi siècle d’avance sur son époque. 
Voici venu le temps de la reconnaissance de celui qui prônait à 20 ans, en rival d’Einstein, qu’E est différent de MC2. Une remise en cause qui se révèle, des plus plausibles 50 ans plus tard. 

Je crois en la prédestination des noms. Les Quasar sont ces trous noirs a des millions d’années lumières des étoiles. Khanh a vécu sa vie en Quasar, il l’achève entouré et heureux dans sa retraite d’Hô-Chi-Minh. Ses rêves ne sont pas plus devenus réalité au Vietnam qu’à Paris, le pont de 40 m de haut qu’il avait conçu en colimaçon géant (à la manière des parking) et qui devait enjamber les 2 rives de la ville n’a jamais vu le jour. Les autorités, après moultes hésitations trancheront pour… un tunnel et son vélo de bambou, 100% bio et végétal, ultime folie pourtant sage, ne réussira pas à détrôner le vieux bicycle chinois. 
Mais ces incompréhensions du monde qui l’entoure ne désarment pas crazzy idea-man. La vieillesse commence lorsque les regrets l’emportent sur les rêves. 

Quasar n’en finira jamais de rêver. 

Et nous de l’aimer.

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