Politique et marketing font-ils bon ménage ?
On peut le craindre, on peut aussi découvrir le dessous des cartes en lisant le dernier livre de celui qui a réalisé quelques belles campagnes ... présidentielles entre autres !
Le pouvoir dans la peau ... Jacques Séguéla le dit, tous nos leaders politiques l’ont. Unanimement, ils reconnaissent avoir rêvé de la fonction de chef d'Etat bien avant que d'avoir de la barbe à raser.
La conquête du pouvoir exige les qualités du ring et celles du séducteur. Mais pour tempérer les ardeurs des candidats, les conseillers de l’ombre oeuvrent et ne sont pas pour rien dans la fabrication de leur victoire. Dans son dernier ouvrage, "Le pouvoir dans la peau" édité chez Plon, Jacques Séguéla nous livre quelques-unes de ses recettes.
Rencontré au Cristal Festival, il a bien voulu répondre à quelques-unes de nos questions.
Vous avez mené 20 campagnes présidentielles dont 18 se sont soldées par des victoires. Comment définiriez-vous votre rôle auprès des candidats ?
Jacques Séguéla : C’est un rôle de metteur en scène mais on ne doit jamais se prendre pour le candidat. Un communicant, c’est la sono. Sans la sono les Beatles auraient eu beaucoup de succès mais cela aurait porté moins loin. Le talent, ce n’est évidemment pas la sono, c’est les Beatles. Le talent ce n’est jamais le communicant, c’est le candidat.
Sa mission joue surtout sur trois niveaux : le quand, le comment et le où.
Le quand, c’est le moment dans la campagne où doit s’inscrire le message. Il doit répartir l’agenda. Dans une élection, gérer le bon moment est crucial. En fait, tout se joue à deux ou trois moments clé et tout peut se perdre jusqu’au dernier moment.
Deuxièmement, c’est à lui de définir où sera délivré le message. Le décor porte la parole, il joue un rôle essentiel. Si j’étais candidat et que je voulais parler d’un problème d’éducation, j’amènerai mes deux petites jumelles à l’école et en les tenant par la main, je m’adresserai plein écran aux mères qui amènent aussi leurs enfants. Elles m’écouteraient parce qu’à cet endroit, on parlerait d’égal à égal et que je répondrai à leurs problèmes quotidiens.
Et puis, la dernière chose, qui est la plus importante, c’est le comment. Il s’agit d’aider l’homme politique dans sa formulation. Par ailleurs, chaque fois qu’un message à été donné, il faut valider qu’il a bien été perçu et rectifier les choses s’il y a lieu. Une campagne n’est jamais que des ajustements permanents. Tous les jours, les choses changent. Il faut veiller en permanence à ce qu’il n’y est pas de dérapages verbaux ou d’image. Mais genéralement, les dérapages sont verbaux. Une petite phrase ou un mot lâché peuvent avoir des répercussions à n’en plus finir. Je ne devrais pas dire ça, moi l’homme de la Rolex, mais le communicant doit veiller à ce que son candidat ne se fasse pas prendre en défaut. Il s’agit souvent de le calmer et de l’exposer le moins possible aux journalistes en dehors des sujets précis qu’il connaît bien. Les journalistes n’ont qu’une idée en tête : piéger les candidats. Ils devraient essayer d’éclairer sur la qualité du candidat et ses visions mais, non, ils préfèrent aller chercher à tout prix la petite bête qui peut le faire perdre.
Est-ce que vous diriez que les candidats sont des produits comme les autres ?
Jacques Séguéla : Le marketing politique, c’est le marketing de l’offre. J’ai une vision, j’ai des idées, j’ai des solutions. Je vous les dit. Vous les prenez, vous ne les prenez pas. Vous votez pour moi ou vous votez pour mon concurrent.
Le marketing des produits de consommation, c’est davantage le marketing de la demande. Je vous écoute, vous êtes mon client chéri qu’est-ce que vous voulez ? Vous voulez une eau minérale ? Vous voulez qu’elle soit pétillante ? Vous voulez qu’elle ait quelles qualités ? Je vous mets des petits bébés dedans, je vous dis que c’est l’eau de la jeunesse et je vous la livre bien empaquetée.
D’un côté, il y a le choix, de l’autre côté, il y a la fabrication du désir. La publicité politique est de loin la plus démocratique. C’est d’ailleurs l’un de nos nombreux paradoxes en France. Nous sommes le pays qui a inventé et la démocratie et la publicité, et nous sommes le seul pays au monde où la publicité politique est interdite.
Vous dites dans votre livre que les élections se gagnent toujours en fédérant autour de valeurs positives. Vous citez également une enquête BVA qui place la France comme le pays le plus pessimiste du monde. Pensez-vous que cette position présente une opportunité à saisir pour les candidats de 2012 ?
Jacques Séguéla : Oui, absolument.
D’abord c’est catastrophique que la France soit le pays le plus pessimiste du monde. Nous sommes le pays le plus visité et le pays préféré par tous les autres pays du monde. On est comme ça, on est totalement paradoxaux. C’est dans nos gènes. Et justement, dans cette part de rêve que doit apporter une campagne politique et même dans un moment de crise comme aujourd’hui, il y a une réponse à apporter. Gagnera, je crois, celui des deux candidats qui au lieu de faire en permanence rimer « France » avec « Souffrance », qui est le débat d’aujourd’hui, saura faire rimer « France » avec « Espérance ».
On ne peut pas voter pour un monde plus malheureux. On ne peut que voter pour un monde meilleur. Si on n’y croit pas, on ne va plus voter. On renie la notion de démocratie et la notion de vie même. Si on s’engage dans une vie qui doit être pire que celle qu’on a eût, à quoi bon vivre. Et je pense aussi que les temps vont demander cela. Vous savez, 22 % des électeurs sortent de chez eux le jour de l’élection sans savoir pour qui ils vont voter. C’est incroyable ! Je pense que ce vertige de l’urne se joue sur le dernier moment de séduction que l’on a senti pour un candidat. L’idée qui a fait « tilt », le slogan qui a marché, le regard ou le geste qu’il a eu à un moment … et c’est là que se fait la différence.
Une élection est complexe. On vote pour le futur et pas pour le passé. Il faut que nos politiques aient une vision. Encore plus aujourd’hui qu’hier. Tout le monde a compris que c’était la fin de l’Etat providence, que la crise était mondiale, qu’il faut se tourner vers une autre façon de vivre : une façon de penser différente, de dépenser différente, en dépensant moins mais mieux. L’homme qui saura résumer dans sa vibration cette société qui s’invente et qui proposera aux français de l‘inventer avec lui, de partir ensemble vers ce nouveau monde est celui qui va l’emporter sur les hésitants de dernière minute.
Une campagne se joue sur deux axes : l’axe du symbolique et l’axe de la proximité. L’axe symbolique, c’est la vie présidentielle, la reconnaissance internationale. Evidemment, Nicolas Sarkozy double le score de François Hollande sur ce point. Mais sur l’axe de la proximité, de la sympathie, de la capacité à régler les problèmes quotidiens, de la capacité d’écoute et de rassemblement, là, à l’inverse, c’est François Hollande qui double le score. Selon l’évolution économique, politique du moment, si le monde est encore en crise, si l’Europe n’est pas réglée, fatalement l’axe international va l’emporter. Si au contraire, les choses se sont réglées, ce sera assez cruel pour Sarkozy qui fait tout pour que cela le soit ... je pense que l’élection ne peut pas échapper à François Hollande.
Vous décrivez très bien la mécanique mise en place par Obama qui s’est beaucoup joué sur le front du Net. Selon vous, nos candidats ont-ils digéré les leçons qu’ils pourraient en tirer ?
Jacques Séguéla : Non, les politiques français ont peur du Net et ils ne l’ont pas compris.
Ils ont vaguement une utilisation de Twitter mais ce n’est pas ça le Net. Il faut l’utiliser comme l’a fait Obama. Il a utilisé le Net comme un outil de prospection et comme un outil de levée de fonds. Mais cette levée de fonds n’était pas centrée sur le fonds levé : il demandait une participation dérisoire de 10 $. Par contre, il levait l’espoir de ses militants et ils se sont engagés avec lui pour porter son message. Vous savez, quand on a misé sur un cheval, on a envie qu’il gagne et on se retrouve sur le champ de course, à brailler comme un dingue ... C’est ce qu’Obama a réussi à faire avec 8.5 millions d’américains qu’il a transformé en démarcheurs, qui sont allés, jour après jour, frapper à la porte de leurs voisins pour porter la bonne parole. Et cette campagne, qui passe pour être la plus technologique de tous les temps, est en fait la campagne qui est revenue aux sources même du commerce : c’est à dire au porte à porte, sur le modèle de la vente d’aspirateur.
Auriez-vous un conseil pour nos candidats de 2012 ?
Jacques Séguéla : Etre vrai. Oublier leur bilan : on vote pour le futur, pas pour le passé. Reconnaître leurs erreurs. Etre capable de manager le présent et d’inventer le futur. Se tenir à cheval entre les problèmes du quotidien et les problèmes de demain.
Propos recueillis par Béatrice SUTTER.
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