Docteur Tant-Mieux
Remède anticrise autoproclamé, le publicitaire éternel se fend d’une série de conseils censés répandre la bonne humeur.
Par CHLOÉ AEBERHARDT
A 79 ans,
Jacques Séguéla serait en droit de raccrocher et de s’autoriser quelques
plaisirs. Racheter un bateau. Se dorer la pilule sur sa terrasse d’Ibiza. Plus
simplement prendre le temps de découvrir la collection automne-hiver de sa
maison de couture fétiche, Prada. Après tout ce qu’il a fait pour la France !
La victoire de Mitterrand - «la force
tranquille» en 1981 -, c’est lui. L’ascension de Vuitton - «l’art de voyager» au sommet des
enseignes de luxe -, encore lui. «Carte
noire, un café nommé désir», «Décathlon,
à fond la forme», toujours lui…
Mais non.
Consultant pour le groupe Havas, qui a absorbé son agence RSCG, en 1991, le
publicitaire sillonne la planète avec l’énergie d’un petit jeune. La crise fait
rage ? Il prend la plume et, malgré sa répugnance légendaire à se mettre en
avant, réinvestit le champ de bataille médiatique. Il l’assure : «Je vais acheter tous les exemplaires de
votre journal pour que personne ne lise mon portrait.» Cet homme n’est
qu’abnégation. Comment ne pas lui tirer notre chapeau, comme à tous ces
prédicateurs de 70 ans et plus qui sacrifient leur retraite pour nous
montrer la voie ? Merci Jean d’Ormesson, Philippe Sollers, professeur Cabrol.
Que serait le débat public sans la permanence de vos interventions ?
Positiviste parmi les sages, le grand Jacques entend, avec son essai Merde à la déprime, administrer «une piquouze de bonne humeur» à ses
concitoyens. Notre taux de fécondité bat des records, le CAC 40 se porte
bien, notre gastronomie est inscrite au patrimoine de l’humanité, pourtant nous
ronchonnons ? «"Merde à la
déprime", c’est un "merde" qui a envie de dire merci,
explique Séguéla. Merci à la crise qui
donne envie de bouger.» C’est vrai ça, merci à la crise ! Grâce à elle, les
5 millions de chômeurs n’ont plus d’autre choix que se prendre en main.
Oui, mais comment faire ? Défaitistes comme nous sommes, nous n’avons plus
d’espoir ni d’allant. Même la publicité ne nous fait plus rêver, c’est dire.
Heureusement, le docteur Tant-Mieux est là. Fort de sa connaissance pointue de
la société française, qu’il observe affectueusement, ainsi que la tour Eiffel,
depuis son bureau vitré du dernier étage, il a dans sa mallette des remèdes à
tous nos maux.
L’emploi. Facile. Pour Séguéla, «guérir de la sinistrose nous permettra de sortir du chômage.»
Bonne nouvelle, «cette guérison ne dépend
ni de l’Etat ni des patrons, mais de nous». Exemple : «Si tu arrives à un entretien d’embauche l’air sinistre, tu ne
décrocheras jamais le job.» Pas bête, on en touchera deux mots à nos
copains sans emploi. Inspirez-vous du grand Jacques, on leur dira. Il tutoie et
fait la bise d’office, histoire d’«aller
plus vite dans la communication». Il affiche sa réussite sonnante et
rugissante via une constellation de récompenses dorées dressées un peu partout
dans son bureau. Il porte une chemise neuve et des mocassins impeccablement
cirés, le contenant comptant évidemment plus que le contenu. A ce sujet,
surveiller sa ligne (Séguéla fait trente minutes de gym tous les matins et se
pèse deux fois par jour) et, si possible, prendre le soleil. «Dans les années 80, il fallait être
bronzé pour séduire un client, se souvient le roi de la pub. Lors d’un déjeuner d’affaires, un petit
coup de bronzage aidait autant qu’un petit coup de bordeaux !» Il jure ses
grands dieux n’avoir jamais fait une séance d’UV de sa vie. Elevé à Perpignan,
il est «fils du Sud» avant d’être «fils de pub» : «Je me mets au soleil deux heures, et j’en prends pour deux mois.»
La corruption des politiques. Corruption ? Quelle
corruption ? «Il y a un Cahuzac par
siècle», soutient le grand Jacques, pour qui «les Français sont beaucoup trop soupçonneux à l’égard des
politiques». On l’oublierait trop souvent : «La politique est un sacerdoce. Tu attends des années avant de gravir
les échelons et, quand tu deviens ministre, tu es mis à la porte au mieux au
bout de cinq ans, au pire au bout de deux.» Comme son ami de longue date
Bernard Tapie, Séguéla nourrit pour son pays des ambitions trop vastes pour ne
pas se sentir à l’étroit dans le bipartisme traditionnel. «Personne ne comprend mon discours», se désole l’ancien conseiller
de Mitterrand, qui poursuit tout de même : «Je
ne suis ni de droite ni de gauche. A mon âge, je vote pour la France.» Soit
Royal puis Sarkozy en 2007, et deux fois Sarkozy en 2012. Critique malgré leurs
trente ans d’amitié, le journaliste Guillaume Durand voit dans ce changement
d’allégeance une déformation professionnelle : «Je connais peu de publicitaires qui ne soient pas opportunistes. Ils
passent leur temps à profiter des effets d’aubaine.» En 2008, le grand
Jacques est décoré d’une légion d’honneur méritée. N’est-ce pas lui qui,
quelques mois plus tôt, présentait Carla à Nicolas ? L’année suivante,
défendant sur France 2 le bon goût horloger de son champion, il avait
cette phrase malheureuse : «Si à
50 ans on n’a pas une Rolex, on a raté sa vie.» «Je ne parlais pas des Français, mais du président de la République, rectifie-t-il
aujourd’hui. Je voulais dire qu’on ne
peut pas être président sans s’être acheté une Rolex. Quoiqu’avec le
gouvernement actuel, mieux vaut avoir une Swatch…» Opposé à la déclaration
de patrimoine pour les ministres, il refuse de s’abaisser à ce «viol de l’intimité». «Ce n’est pas moi qui me suis enrichi,
précise-t-il toutefois, mais Afflelou,
Citroën, toutes ces marques pour qui j’ai travaillé toute ma vie.» Dur.
Les inégalités entre les sexes. Depuis plus de
quarante ans, Séguéla guette les «fourmillements
souterrains qui vont écrire le monde de demain». En ce moment, ça
fourmillerait du côté d’Internet, un système d’interconnexion d’ordinateurs que
le visionnaire nous fait découvrir avec passion, de l’émergence d’une
conscience écologique nouvelle, mais aussi des sacro-saintes «valeurs féminines», vous savez, «l’harmonie, l’équilibre, le partage,
l’écoute et la tolérance». Page 86 : «Notre société change de moteur, non plus la force mais la douceur, non
plus l’argent mais l’amour, non plus le machisme mais la féminité.» C’est
beau. D’autant que, machiste, Séguéla ne l’a jamais été. Lorsque l’année
dernière il traite Audrey Pulvar de «salope»
à la radio, ses mots dépassent bien entendu sa pensée. «Je suis un impulsif. L’interview d’Audrey dans On n’est pas couché
m’avait fait du mal. J’ai regretté mes
paroles, et je me suis excusé très vite.» Guillaume Durand confirme que
Séguéla est un «vrai gentil» : «Je ne connais personne dont l’image publique
est aussi éloignée de la réalité. Il a une propension incroyable à faire des
gaffes, mais en amitié il est d’une générosité rare.» En
trente-sept ans de mariage, Jacques et sa femme Sophie ne se sont «jamais disputés». «La sensualité d’une femme passe par sa façon de faire la cuisine»,
déclare-t-il amoureusement. Elle fait très bien les spaghettis. Lui, les
coquillettes. Il a fixé l’âge de sa retraite à 100 ans. Alors seulement il
sera au top. Il en est convaincu: «Vieux,
c’est mieux.»
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