À Cannes, en plein "Lions Festival", convention mondiale de la publicité, sur la terrasse de l'éphémère "Havas Café" sur la Croisette, il porte droit et beau. À 79 ans, le "fils de pub" Jacques Séguéla n'a rien perdu de sa verve pour réveiller une France qu'il juge moribonde. Décapant.
Ce n'est pas un peu facile de dire « merde à la déprime » (1) quand on s'appelle Séguéla, qu'on est riche et célèbre ?
Je m'attendais à cette question vacharde [rires].Je ne pense pas que la déprime soit une question d'argent, même si l'argent aide à mieux vivre. Mais les Français sont deux fois plus riches qu'il y a 50 ans. Et je vous fais observer que le pays le plus pauvre du monde est aussi le plus heureux : le Bouthan. Le Roi du Bouthan a eu une idée géniale : il a remplacé le produit national brut par le bonheur national brut et dit à ses ministres de se préoccuper uniquement du bien-être de ses sujets. Et ça marche ! Je ne suis pas naïf pour autant, je connais les taux de chômage, chez les jeunes notamment et la baisse dramatique du pouvoir d'achat.
On touche vraiment le fond ?
Il y a en France deux dépressions. L'économique d'abord et celle-là vous et moi n'y pouvons rien. Laissons les politiques faire leur boulot, foutons leur la paix et on fera les comptes après. Et puis il y a la dépression morale des Français. Ce pays est en dépression nerveuse.
Pourquoi ?
On a l'esprit critique, donc on doute. Et dès que ça va mal, le doute devient peur et la peur devient violence. Avec les débordements que l'on connaît dans la rue comme ceux vécus lors des manifs contre le mariage gay. On a aussi l'esprit libertaire. Celui de 1789, de 1968… Mais qui dit libertaire, dit égotisme, puis égoïsme. Le paradoxe c'est que lorsqu'on demande aux Français s'ils sont heureux, à 82 % ils répondent oui. Et quand on leur demande si leur voisin est heureux, ils répondent non à 72 %. En fait, on a le bonheur personnel et la déprime collective !
Les Français seraient-ils des complexés du bonheur ?
Clairement oui. Ils ont peur d'être heureux !
Que leur suggérez-vous ?
De se préparer pour la sortie de crise. Elle va finir par arriver. Ne restons pas dans le défaitisme. Et commençons par tirer profit de tous les atouts de la France. Ils sont si nombreux qu'ils occupent 20 pages de mon bouquin !
Quelles sont nos forces ?
D'abord de fabriquer 820 000 bébés par an. Dans 30 ans on aura dépassé l'Allemagne et on sera la première population d'Europe. Tous ces jeunes vont redonner de l'énergie. Et puis on est un pays d'innovation. Celui au monde où il y a le plus de prix Nobel par habitant. Et on est numéro 1 dans plein de domaines : le luxe, l'aéronautique, le BTP, la chimie, le tourisme.
Pourquoi croyez-vous tant en notre jeunesse ?
Ils sont plus informés que leurs parents. Plus interconnectés et interactifs aussi. Et enfin plus technologiques. Cette génération aura plus de savoir. Elle va pouvoir changer le monde.
Nos faiblesses ?
Notre culture judéo-chrétienne qui fausse notre rapport à l'argent. Et nous divise. Les riches contre les pauvres, le privé contre le public etc. Le Français devient vite jaloux et aigri jusqu'à la haine.
Mais vous comprenez quand même que certains salaires choquent les Français ?
Oui bien sûr. J'ai d'ailleurs beaucoup baissé le mien. Depuis trois ans déjà. Et je n'ai pas attendu que ce soit à la mode.
La taxation à 75 % ça vous a énervé ?
Oui. Pas la taxation en elle-même, car les riches peuvent très bien la payer. Mais la façon de faire de Hollande et de dire « je n'aime pas les riches alors je vais me les payer ». Cette histoire a donné une image désastreuse de la France à l'étranger où on a le sentiment que chez nous on entrave la réussite.
La politique de Hollande participe-t-elle de cette déprime que vous combattez ?
Il a raté sa première année, comme tous les autres présidents avant lui d'ailleurs. Mais laissons le travailler. S'il se décide enfin à faire une politique sociale-libérale il peut réussir. Il a toutes les cartes en main… et ne peut pas tomber plus bas !
Si vous deviez réaliser une campagne de pub pour l'aider, vous feriez quoi ?
Je lui proposerai comme slogan : « La France est notre chance ». Avec une image garnie de tout petits Français picturaux, pour faire masse et donner le sentiment que tous ensemble on peut s'en sortir.
Qui détient l'avenir politique de la France ?
Les femmes. C'est leur tour. Et une en particulier, Nathalie Kosciusko-Morizet. Je voterai pour elle à Paris. Elle incarne cette nouvelle génération, elle est vraiment du XXIe siècle. Et surtout parce qu'elle a l'ambition d'un homme. C'est la seule qui à droite peut un jour postuler à la présidence.
Souhaitez-vous le retour de votre ami Nicolas Sarkozy ?
Oui. Je le vois souvent, j'ai dîné avec lui la semaine dernière. Ce n'est plus le même homme. Il court le monde, voit tous les chefs d'État, tous les grands patrons. C'est une éponge. Il atteint cette hauteur présidentielle qu'il n'a pas eue le temps d'acquérir pendant son premier mandat. C'est le seul qui peut lutter contre le Front national et le seul qui peut redonner confiance à l'économie.
Reviendra-t-il ?
Je le pense, à trois conditions : qu'Hollande échoue ; que le FN continue à monter ; enfin qu'il fasse comprendre aux Français qu'il a changé. Cela passe peut-être par un changement d'entourage…
Quel regard portez-vous sur les « fils de pub » qui vous ont succédé ?
Le monde de la pub change tous les dix ans. Moi j'étais un petit Goebbels. Je faisais de la propagande. C'était l'ère de la dictature de la communication et de la consommation. Internet a fait exploser tout ça. Il établit la démocratie participative dans la communication. Chez Havas 30 % de notre CA se fait déjà par le Net et les réseaux sociaux.
Votre devise ?
La vieillesse commence lorsque les regrets l'emportent sur les rêves.
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