vendredi 28 novembre 2014

ENTRETIEN – La ville de Grenoble a décidé de bannir l’affichage publicitaire dans l’espace urbain. Son contrat avec JCDecaux ne sera pas reconduit. Un coup de tonnerre dans le monde de la communication. Toujours actif et réactif, Jacques Séguéla, figure du marketing publicitaire et politique, ex vice-président d’Havas en charge de la création, nous livre son point de vue sur cette décision.



© Jacques Séguéla réagit sur la décision de la ville de Grenoble de bannir l'affichage publicitaire dans l'espace urbain.
© Jacques Séguéla


Stratège parmi les stratèges en communication visuelle, Jacques Séguéla a révolutionné plusieurs fois le monde de la publicité. On lui doit de nombreux slogans qui ont marqué les esprits, dont « Un café nommé désir », « À fond la forme », « On est fou d’Afflelou », « Sida : baisons futé » et le cultissime « La force tranquille » qui mena tout droit François Mitterrand au pouvoir en 1981.

Au poids des mots, il ajoute le choc des images. Citroën, Lacoste, Airbus, Vuitton sont autant de marques dont il assure les campagnes de pub. Jacques Séguéla est l’ami des politiques et des stars. L’« homme de gauche » a construit sa vie dans la liberté. S’attachant davantage aux hommes peut-être qu’aux idées, il a voté pour Nicolas Sarkozy au second tour des élections présidentielles de 2007.

C’est sans détour, la bonne formule toujours au rendez-vous, qu’il se prononce sur la décision de la municipalité verte de Grenoble de condamner l’affichage publicitaire dans l’espace urbain.
 Que vous inspire cette décision de supprimer l’affichage publicitaire dans l’espace public ?

© Véronique Magnin © Jacques Séguéla réagit sur la décision de la ville de Grenoble de bannir l'affichage publicitaire dans l'espace urbain.
© Véronique Magnin


D’abord, trop de pub tue la pub. C’est encore plus vrai dans le domaine de l’affichage qui n’a pas toujours su raison garder par le passé. Lorsque l’affichage est plus ou moins sauvage, qu’il y a multiplication à l’entrée des villes et des panneaux dans tous les sens, mettre de l’ordre là-dedans est, à mon sens, la moindre des choses. Cela a d’ailleurs été fait dans beaucoup de villes et continue de l’être. Non à la pollution visuelle mais non encore plus à l’excès d’autoritarisme administratif et à la ségrégation des espaces publics !




Le contrat avec le groupe JCDecaux arrive à son terme. Il ne sera pas reconduit…


Fin de la publicité à Grenoble. Jacques Séguéla réagit sur la décision de la ville de Grenoble de bannir l'affichage publicitaire dans l'espace urbain.
© Véronique Magnin
Il y a 40 ans que je prône qu’il y ait moins d’affiches et de plus belles affiches. S’en prendre à Decaux qui, justement, est l’industriel qui a compris cela avant tout le monde et qui a fait que le monde entier se convertit à ses affiches parce qu’elles sont plus rares, propres, encadrées, qu’elles ont une utilité urbaine et qu’elles sont civiques… On n’y comprend plus rien !


La municipalité se réfère au modèle de São Paulo, dont la loi municipale de 2006 – Cidade Limpa (ville propre) – interdit tout affichage publicitaire dans l’espace public. Une mesure radicale encore en vigueur aujourd’hui… Que pensez-vous de cette expérience ?



São Paulo était une ville incroyablement bariolée, incroyablement vivante, incroyablement mélangée et il y a quand même de la publicité qui résiste. C’est un cas très particulier et qui d’ailleurs n’a pas fait d’émule. Et je pense qu’un jour viendra où la municipalité reviendra à plus de raison. Deuxièmement, méfions-nous des « antis ».

Fin de la publicité à Grenoble. Jacques Séguéla réagit sur la décision de la ville de Grenoble de bannir l'affichage publicitaire dans l'espace urbain.
© Jacques Séguéla


Prévert disait : « il y a ceux qui croient, ceux qui croient croire et ceux qui croa-croa ». Ne faisons pas de la France un pays de corbeaux. Restons le pays des colombes de la paix, des aigles napoléoniens. Et puis ce n’est pas le moment, dans la déprime actuelle, de rajouter de la déprime à la déprime. Parce que la publicité on peut lui faire tous les reproches du monde, elle est quand même souvent bonne et de plus en plus.

C’est elle, par la voie de l’affichage dans l’espace public, qui apporte à la ville l’info, la couleur, l’humour, la joie de vivre, le partage, le talent et qui favorise le vivre ensemble. Les publicités, on les aime ou on ne les aime pas… Supprimer l’affichage en ville, c’est priver les citoyens de cette qualité de vie supplémentaire. Est-ce que le net, par exemple, a décidé de supprimer la publicité ? Or c’est le premier espace public du monde !


C’est une décision idéologique, selon vous ?

Je trouve que c’est une attitude totalement idéologique, totalement politique et totalement sous l’influence verte de la municipalité.


Pensez-vous que cette décision va avoir des conséquences économiques ?

Si la publicité ne servait à rien, ça se saurait ! Il y a longtemps qu’on l’aurait supprimée. Les annonceurs ne sont pas fous et toutes les études montrent que toute marque qui supprime sa publicité observe instantanément une chute des ventes. L’affiche, c’est le dernier mètre avant l’achat. C’est un des premiers stimulateurs de l’économie urbaine. Supprimer l’affichage, c’est vouloir assassiner le petit commerce en ville.


Mais, en général, ce sont surtout les grosses entreprises qui peuvent s’offrir de la publicité sur les panneaux Decaux…

Non, il y a énormément de succursales de grandes marques qui sont des petits commerçants affiliés et qui bénéficient de la publicité des grandes marques. C’est justement ce qui les fait vivre. Autrement dit, les indépendants effectivement n’ont pas les moyens de faire de la publicité mais, groupés dans une franchise, ils bénéficient de la publicité de la marque. La France est le pays du monde où la franchise marche le mieux.

Fin de la publicité à Grenoble. Jacques Séguéla réagit sur la décision de la ville de Grenoble de bannir l'affichage publicitaire dans l'espace urbain.
© Jacques Séguéla


Et si la société était en mutation et que l’affichage n’était plus un maillon indispensable, avec la progression d’Internet ?



Internet, c’est chez soi, c’est loin, c’est avant l’achat. L’affichage dans la rue au contraire, à condition qu’il soit bien fait, protégé, moderne et qu’il ne soit pas empirique, c’est le dernier écran dans la rue. C’est le moment où la marque vous rappelle ses valeurs, sa qualité et vous montre son produit. Donc, priver le commerce de cet atout-là, c’est vouloir assassiner le commerce. Ce n’est vraiment pas le moment.
La France est en train d’aller dans le mur et le commerce est le premier à en pâtir. L’année 2015 va être pire que l’année 2014. Je ne comprends pas qu’un maire digne de ce nom prive les commerçants de ce stimulus indispensable. C’est criminel. Et puis, il y a pour moi pire que cela. Méfions nous des castrateurs d’imaginaire ! C’est le début de toute dictature.



La mairie entendrait malgré tout conserver la promotion des évènements culturels…

Justement, l’idée de Decaux a été de consacrer une face de ses panneaux à la publicité grand public et de réserver l’autre face à la publicité culturelle ou d’information de la ville. Il y a un équilibre actuellement. Je ne vois pas pourquoi maintenant seule la culture aurait droit à la publicité et pourquoi en seraient privés les produits de grande consommation qui font l’économie d’un pays, qui font le petit commerce. La consommation maintient le pouvoir d’achat. Si vous abaissez l’envie d’acheter, vous courez directement vers la déflation et in fine vers la fin du système.


Y a-t-il des alternatives au capitalisme qui nécessite d’accroître toujours plus la consommation ?

Je pense que le capitalisme en a pour 30 ans tel qu’on le connaît aujourd’hui. Pour moi, il est en phase d’extinction pour être remplacé par un nouveau capitalisme de partage, collaboratif, qui va trouver d’autres moyens de communiquer. Mais pourquoi le priver de l’affichage ? Ce n’est pas parce que les banques ont fait sauter le système qu’il faut s’en prendre à l’affichage. C’est le moyen pour tous les petits commerçants d’en appeler au chaland.

La publicité capte tout de même du temps de cerveau disponible…

Fin de la publicité à Grenoble. Jacques Séguéla réagit sur la décision de la ville de Grenoble de bannir l'affichage publicitaire dans l'espace urbain.
© Jacques Séguéla


Mais non ! Elle crée l’envie d’avoir envie. La vie est déjà tellement triste, tellement sinistre… Les politiques et les médias nous la rendent tellement négative. On ne nous annonce que des scandales, des drames… Le monde est fou !



Au moins, la publicité est marchande de bonheur, avec parfois la maladresse de ne pas savoir bien le faire mais elle est là pour essayer d’entretenir le goût, l’envie de vivre et de consommer.



Ce qui ne veut pas dire qu’il faut surconsommer. Le dernier moteur de l’économie française, c’est la consommation. Si l’on s’en prend à la consommation, tout l’édifice va s’écrouler. Tous les autres se sont déjà effondrés…

La publicité ne peut-elle pas s’apparenter à une méthode de persuasion des masses, à l’origine propagandiste ?

C’est un discours soviétique. Allons ! Comment au XXIe siècle pourrait-on encore tenir des propos pareils ? La frange extrême des Verts à la rigueur. Moi je suis écolo. On n’est pas obligé d’être écolo et con à la fois. Qui peut prétendre que la publicité pervertit le monde ? Les seuls pays qui ne font pas de publicité, ce sont les dictatures. C’est la preuve par neuf que la publicité fait partie de la vie.

Il ne faut pas qu’elle outrepasse ses droits, c’est vrai. D’abord, elle est tenue de ne jamais mentir. Le mensonge dans la publicité est puni par la loi, ce qui n’est pas le cas du mensonge médiatique ou politique. La publicité a ses raisons gardées. Et puis, tous les pays qui ont essayé de supprimer la publicité y sont revenus dans les trois ou six mois.

 Ceci étant, dans la ville de São Paulo, la loi d’interdiction s’applique depuis huit ans et les conséquences économiques ne sont pas clairement catastrophiques…

L’économie brésilienne va quand même mal globalement… Non, vraiment, ce n’est pas le moment d’essayer d’enlever le moyen de revitaliser l’économie et de toucher le consommateur.

A votre avis, cette décision va-t-elle faire des émules ou rester un acte isolé ?

Cela va, en tout cas, lancer le débat et il faut surtout qu’il y ait débat. Et je pense qu’il va y avoir tout de suite une mobilisation des petits commerçants qui vont voir leur chiffre d’affaire baisser dans les trois mois qui suivront. Si l’on veut finir de les asphyxier, après toutes les surcharges de ces deux dernières années et l’effondrement de la consommation, allons-y ! Ce sera le coup de grâce !


Propos recueillis par Véronique Magnin

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