mardi 17 janvier 2017

Jacques Séguéla : « Emmanuel Macron est le bébé Cadum de la politique »



L'INVITÉ DE LA SEMAINE : Le père de la « Génération Mitterrand » regrette l'interdiction de la publicité politique, décidée en 1990 sous le gouvernement Rocard. Selon lui, elle prive les partis d'une arme de communication massive.



Pour le trouver, il faut monter tout en haut de l'immeuble d'Havas à Puteaux (Hauts-de-Seine), en bord de Seine. Là, l'immense couloir de l'étage direction laisse le temps d'admirer une vue imprenable sur Paris. En entrant dans son bureau, on jette un coup d'oeil sur une photo de lui aux côtés de Nelson Mandela. A travers les vitres transparentes, quelques salles plus loin, on aperçoit Yannick Bolloré en pleine réunion avec des collaborateurs. Le temps de commander des cafés et c'est parti : le gourou Séguéla s'exprime avec gourmandise sur ses deux sujets-passions, la pub et la politique.

Une nouvelle campagne présidentielle suscite-t-elle toujours autant d'intérêt pour un communiquant comme vous ?

Tout a changé en 1990 avec la suppression de la publicité politique décidée par Michel Rocard, alors Premier ministre, et jamais réintroduite depuis (NDLR : il est notamment interdit l'utilisation à des fins de propagande électorale des procédés de publicité commerciale par voie de presse, d'affichage sur panneaux 4 x 3, ou de communication audiovisuelle. Toute communication des candidats durant la campagne doit se limiter à des espaces réglementés) A l'époque, il craignait que la droite, plus riche que la gauche, soit avantagée. J'ai eu beau monter au créneau et proposer que tout le monde soit logé à la même enseigne avec des sommes dépensées identiques à tous les partis et pris sur le budget consacré aux comptes de campagnes, rien n'y a fait. C'est un crime car on prive l'élection de créativité. « Génération Mitterrand » et la « France unie » pensés pour la présidentielle de 1988 ont finalement été les derniers vrais slogans de publicité politique.

Comment avez-vous été embarqué dans ces campagnes politiques ?

En 1978, lors de la campagne législative, j'ai été appelé par le directeur de campagne de Mitterrand, de Chirac et de Giscard d'Estaing pour réaliser leurs affiches respectives. Ce que j'ai fait et les 3 ont été retenues ! Mais en 1980, j'ai prévenu les 3 candidats que chacun devait choisir un publicitaire, une agence avec une exclusivité réciproque. Rapidement, Mitterrand m'a contacté. J'avais alors pour mission de le convaincre de l'importance de la communication politique et le préparer aux débats télévisés. Puis, il m'a choisi pour préparer sa campagne présidentielle de 1981.

Vous sortez alors « la Force Tranquille »...

J'ai pratiqué François Mitterrand pendant 4 mois, une heure par semaine. Puis lors d'une réunion avec plusieurs créatifs pour débriefer du personnage et trouver un slogan, l'un d'eux résume : « Ton mec, c'est la force tranquille ». Il était là le slogan ! A l'époque, ce message plus sociologique cassait les codes. Restait l'affiche, que je souhaitais très conservatrice. On l'a réalisée à Sermages, un petit village près de Château-Chinon (Nièvre). Mitterrand posait devant une église dont on a gommé, à sa demande, le clocher et la croix.

Aujourd'hui, si vous deviez travailler avec un candidat, qui vous inspirerait le plus ?

Macron. Je le surnomme le « bébé cadum de la politique ». mais il grandit très vite. Il n'est pas un candidat de plus mais une idée, la révolution. C'est gonflé mais c'est ce qui me plaît. Il n'a rien à voir avec les autres. Il va faire une campagne sociétale, parler des problèmes du quotidien et non de politique. Les Français ne supportent plus la politique. Il est le fils adultérin de Nicolas Sarkozy et de Ségolène Royal, mes deux amours d'antan dans le même homme. Ce qui le rapproche de Ségolène Royal c'est l'idée de campagne collaborative, en plus moderne car il est issu de cette même société collaborative. La seule chose qui ne me va pas c'est son slogan « ni droite, ni gauche », il y a trop de négatif dans cette phrase...

Vous avez prévu de jouer un rôle ?

En aucun cas. D'ailleurs je suis au chômage technique. Ce que j'aime, c'est la pub. Toutes mes campagnes ont été des campagnes publicitaires et si j'ai été désarmé pour Jospin, c'est que je n'avais plus mon outil, la publicité. Et puis de toute façon, Vincent Bolloré a interdit qu'Havas fasse des campagnes politiques pour ne pas gêner nos clients. A titre individuel néanmoins, les gens de l'agence peuvent être détachés pendant un temps, à titre de conseiller. Je ne vais pas donner le mauvais exemple.

Les publicitaires n'ont-ils plus aucun rôle en France pendant une campagne politique ?

Je ne dis pas que c'est la pub qui fait gagner un candidat, mais la publicité est ce que l'on a inventé de mieux pour communiquer. Y compris en politique. Et si nos campagnes sont autant livrées à elles-mêmes, c'est parce qu'elles n'ont pas cette arme. En revanche, je ne suis pas favorable à la publicité négative, comparative ou dénigrante comme aux Etats-Unis. Il reste le métier de « spin doctor » (NDLR : communication et marketing politique) qui consiste à être attaché à son homme politique tous les jours, vivre avec lui pour coordonner sa communication, comme Claude Chirac pour son père. Ce n'est pas mon envie, ce n'est pas mon talent.

Si vous vous lanciez dans la communication politique aujourd'hui, cela ressemblerait à quoi ?

Je ferais une agence basée sur l'idée et l'exploitation des données numériques. Au XXe siècle, j'avais un métier assez facile et monstrueux : envoyer des bombardiers au journal de 20 heures qui lançaient leurs bombes au napalm sur 20 millions de Français. Ces bombes, c'était les spots publicitaires. Elles écrasaient tout sur leur passage. Aujourd'hui, la pub envoie des drones qui choisissent exactement le consommateur au moment où il faut le toucher et à quelques mètres de là où il peut acheter en y mettant le plus d'éléments personnalisés possible.




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