lundi 24 avril 2017

Jacques Séguéla : "Il y avait du Pepsi dans Mitterrand" - GRAZIA

Cette campagne 2017 a vu l'émergence d'e-shops personnalisés avec des goodies politiques de plus en plus élaborés. Grazia a interrogé Jacques Séguéla, créateur de "La Force tranquille" et "Génération Mitterrand" sur cette émergence et la pertinence des slogans.


Quelle est votre plus belle affiche ?

Celle que j'ai réalisée lors des élections municipales de mars 1977 pour François Mitterrand avec le slogan : "le socialisme, une idée qui fait son chemin". Sa photo sur la plage était très belle. C'est la première, la plus romantique et elle était prémonitoire. Parmi toutes celles que j'ai pu faire, "Génération Mitterrand" (confectionnée pour l'élection présidentielle de 1988, ndlr) est la plus professionnelle. Cette expression de Génération existait déjà, Pepsi l'avait inventée. J'ai trouvé ce slogan "Pepsi Generation" formidable. Il y avait du Pepsi dans Mitterrand. En 1988, il avait 72 ans, c'était un très vieux Monsieur, il avait un cancer depuis déjà six ans et je voulais que ça claque. Les gens n'ont pas compris ça, ils pensent que j'ai inventé le mot génération. Je l'ai récupéré mais à bon escient et il avait adoré ça. L'enfant c'était ma fille, la main était la mienne. Je disais aux journalistes "cette main c'est celle de Rocard mais c'est peut-être celle de Mitterrand" (en 1988, François Mitterrand élu président de la république, nomme Michel Rocard Premier Ministre, ndlr) et le buzz est parti.
Qu'est-ce qui fait un bon slogan ?

Un slogan c'est ce qui reste quand on a tout oublié donc on le juge à la fin. Si Mitterrand avait perdu l'élection présidentielle de 1981, "La force tranquille" aurait été le pire de tous les temps. Pendant les six mois de la campagne présidentielle, ce n'était pas du tout le slogan préféré des français. Ils aimaient celui de Giscard: Il faut un président à la France . Quand j'ai vu ça-je regrette encore ce que j'ai fait, c'est une horreur - j'ai demandé à des troupes de socialistes de coller deux diamants à la place des yeux et d'ajouter, après ce slogan : "Il faut un président à la France : Votez François Mitterrand". Quand le candidat du Parti Socialiste a su ça, j'ai été convoqué le lendemain matin. Il m'a dit : "Séguéla, c'est scandaleux. On ne traite pas un président comme cela. Vous allez ce soir même avouer à la télévision que vous avez fait ça contre mon gré". Quand vous êtes en campagne, il ne faut pas perdre de temps à parler de son adversaire, mais le consacrer à parler de sa politique et à répondre aux problèmes des Français. Aucun homme politique n'arrive à comprendre ça. Emmanuel Macron continue encore à lancer des pics, même s'il se corrige un peu. C'est fou de penser que François Fillon a passé 80% de son temps à parler de ses affaires et 20 % à parler de sa politique.

Le choc ou l'étonnement participe-t-il à la qualité d'un slogan ?

Un slogan fonctionne quand il est étonnant. Deux poètes ont donné la définition de la pub : le premier c'est Cocteau. Cocteau rencontre un jour Diaghilev et lui demande : "quel est la définition de ton art ?" et Diaghilev lui répond : "étonne-moi !". Et Cocteau lui rétorque : "non ça c'est la définition de mon art à moi". Le deuxième poète, c'est moi. Je n'ai jamais trouvé la définition exacte d'un slogan ou de la publicité, mais j'ai trouvé la question. Demandez à un annonceur : "que deviens la neige quand elle fond ?", il répond : "de l'eau". Pas pour moi. Pour moi, elle devient le printemps. C'est ça un slogan. En plus d'être différent, il doit être poétique, populaire, correspondre au moment.
Que pensez-vous de la deuxième affiche de campagne de Valéry Giscard D'Estaing en 1974, placardée pour le premier tour de l'élection présidentielle, sur laquelle on pouvait lire : "Un vrai président" ?

Un tel slogan serait inimaginable aujourd'hui. C'est terrible parce que ça sous- entend qu'il peut y avoir un faux président. Ce n'était pas le meilleur slogan de Giscard qui n'a jamais été très inspiré. Mais il faut rendre à César ce qui est à César : de toutes les affiches de droite, la plus belle est sans doute la première affiche de cette même campagne où Valéry Giscard D'Estaing apparaît avec sa fille cadette, assis sur un mur de pierre du jardin des Tuileries, sous le slogan : "La paix et la sécurité".
Ses sympathisants avaient, eux, lancé des t-shirts avec la célèbre mention : "Giscard à la barre". Un t-shirt qui avait dû être réimprimé à 50 000 exemplaires...

Giscard à la barre sous-entend qu'il est le capitaine Nemo du bateau et qu'avec lui, ce ne sera pas le Titanic. Valéry Giscard D'Estaing a quand même été le premier à faire une campagne moderne à l'américaine. François Mitterrand et moi, nous sommes passés à côté de ça, nous n'avions pas créé de t-shirts en 1974. Nous n'avions pas un sou. Lui avait dix fois plus d'argent que nous.


L'absence de slogan voulu par le mouvement En Marche ! est-elle bénéfique ?

Au départ, Emmanuel Macron m'a demandé mon avis sur ce slogan qu'il voulait proposer : "Osons Macron". Je lui ai demandé s'il n'était pas fou. C'était trop. C'était un slogan. Lui, il veut casser les règles. Donc il ne fallait pas en mettre. En marche ! est ingénieux. Parce qu'à l'instant même où il lance : "En marche !", des gens se mettent à le suivre.

Quel œil portez-vous sur le changement de slogan de François Fillon ?

Il était obligé d'en changer. "Le courage de la vérité" était devenu trop risible. Là où il a eu tort, c'est de dire qu'il allait procéder à ce changement ("Une volonté pour la France", ndlr). Il aurait dû supprimer l'ancien de ses pupitres, et simplement mettre un titre à son affiche, en douce.

Les boutiques en ligne sont-elles importantes pour un candidat ?

Bien sûr. Barack Obama l'a prouvé, la mobilisation vis-à-vis des marcheurs de campagne est formidable parce que c'est elle qui crée l'élan, elle qui bouge, qui remplit les meetings, elle qui applaudit. Proposer des goodies politiques permet de mesurer à quel point les gens croient en vous, vont voter pour vous et osent s'afficher, parce que finalement ils ne sont rien d'autre que la réincarnation des hommes sandwichs.

Avez-vous un goodies que vous conservez précieusement ?

Oui. Une casquette portant la mention "I like Ike", que j'avais achetée aux Etats-Unis pendant la campagne d'Eisenhower en 1952 (Ike était le surnom de celui qui deviendra le 34e président américain, ndlr). Ce slogan relève du génie et, d'ailleurs, c'est lui qui a lancé la casquette dans les meetings.

Pourquoi les marques ne s'engagent plus ?

Avant, les marques faisaient n'importe quoi, elles ne se souciaient pas tellement de leur image, les réseaux sociaux n'existaient pas. Aujourd'hui, c'est absolument impossible de s'engager car ces réseaux vont se mobiliser pour elle ou contre elle et les deux sont négatifs. Une marque ne doit pas prendre parti. S'engager pour un candidat peut, à notre époque, aussi être une faute pour les stars. En 1981, Gérard Depardieu et Renaud ont fait campagne aux côtés de Mitterrand, mais c'était tout neuf, il n'y avait pas de mauvaises intentions, les politiques étaient incroyablement respectés, c'était des dieux vivants. Aujourd'hui, ils sont devenus des détritus.

Y a t-il une anecdote ou un symbole qui vous a marqué dans votre relation aux hommes politiques ?

En 1981, quand Mitterrand m'a dit qu'il me choisissait comme publicitaire, je lui ai répondu : "monsieur le Président, il faut tout de même que je demande à mon plus gros client, les frères Citroën, c'est-à-dire la famille Peugeot, très à droite, de me l'autoriser". J'en parle alors au patron de Citroën qui hésite un peu, puis me répond : "Après tout c'est un honneur que me fait François Mitterrand, c'est chez nous qu'il vient chercher son publicitaire, ça signifie donc qu'on a le meilleur. Mais il roule en Renault et ça ce n'est pas possible. Donc vous ne faîtes la campagne que s'il accepte une Citröen". Mitterrand me rétorque à son tour : "il n'est pas question que je mette mes fesses dans une Citroën parce qu'elle est beaucoup trop molle". Je lui ai promis que j'allais lui faire fabriquer une Citroën qui allait s'adapter à ses mensurations pour une meilleure élasticité. L'un de mes clients étant fabricant de matelas, je lui ai donc demandé de me construire sur mesure un siège arrière de Citroën. J'ai donc rendu la CX présidentielle de l'époque "socialiste de l'extérieur", c'est-à-dire toute grise. C'était un obus où l'on ne voyait rien, et à l'intérieur c'était une voiture de droite : une petite Rolls en bois de rose. Et Mitterrand a donc accepté de faire la campagne à bord d'une Citroën. Le jour de son élection, j'avais promis à Paris Match la première photo qui serait celle prise au moment où il rentrerait dans sa voiture. Nous sommes donc à Château-Chinon ce soir de mai 1981, il est 22 heures, Mitterrand monte dans sa voiture, les photographes mitraillent. A ce moment-là, un orage se déclenche et l'essuie-glace ne fonctionne pas. Lui était très pressé. Il ressort donc, prend sa voiture de secours qui était la Renault. Paris Match a écrit, en substance : "première panne Citroën, heureusement il y a Renault".

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