Jacques Séguéla s'est converti à l'écologie : c'est bien. Oui mais il en a fait un livre...
ne dites pas à ma femme que j'ai lu le dernier livre de Jacques Séguéla, elle croit que j'ai un vrai travail• Crédits : Pierre Perrin - Getty
Bien que n’étant pas d’un naturel rancunier, je garde une dent contre un de mes anciens camarades d’université, avec qui je m’étais retrouvé en binôme pour faire un exposé sur Pierre Bourdieu. J’avais bossé, lui très peu, tout juste le temps d’absorber le fruit de mon travail. A l’oral, c’est pourtant lui qui avait récolté les félicitations de l’enseignant.
Depuis, j’éprouve une vraie compassion pour tous ces universitaires, cette armée laborieuse d’intellectuels, qui passent des années à creuser un sujet, à rédiger une thèse, et qui voient surgir de nulle part de purs opportunistes qui leur volent la vedette.
Je me mets par exemple à la place des épidémiologistes dans leurs unités de recherche, confrontés, depuis le début de la pandémie, à l’omniprésence médiatique d’un Michel Cymes. Ou alors à celle des penseurs de la condition animale, relégués à l’arrière-plan et aux notes de bas de page par ces grands vulgarisateurs télégéniques que sont Aymeric Caron ou Franz-Olivier Giesbert. Nul n’est prophète dans son pays…ni dans son domaine de recherche.
A vrai dire, l’an dernier, en débutant cette chronique, j’avais plutôt le sentiment d’être du mauvais côté du manche, celui des imposteurs, ou des bouffons pour reprendre l’expression de Christian Salmon. ‘’Mais qui c’est ce gugusse qui vient nous parler d’écologie tous les matins ?’’ : voilà à peu près ce que devaient se dire (et ce que se disent peut-être encore) les vrais spécialistes du sujet.
J’en étais là de mes complexes jusqu’à ce qu’un livre vienne me délivrer du dernier mes scrupules : celui de Jacques Séguéla, ‘’Ne dites pas à mes filles que je suis devenu écolo, elles me croient publicitaire !’’, tout juste publié aux éditions Coups de cœur.
L’homme le plus bronzé qu’il m’ait été donné de voir depuis que je suis né venait donc à son tour de prendre le train de l’écologie en marche ! Ce qui à vrai dire n’a rien d’étonnant. Il n’y a pas mieux qu’un publicitaire pour recycler les idées à la mode (quitte à se renier lui-même), et il suffit de faire un bref séjour devant un écran de télé pour mesurer à quel point c’est déjà le cas : le culte de la performance et l’accessibilité du prix y ont été remplacés, dans les slogans, par le made in France, le terroir, le recyclable, l’écoresponsable, le bio, le 100% naturel, le bon pour la planète…bref toute la panoplie du greenwashing.
Mais c’est pour la bonne cause, nous dit Jacques Séguéla, à qui on ne pourra pas reprocher son ingratitude : la pub l’a nourri, il lui renvoie l’ascenseur : ‘’les marques seront en première ligne pour (la) refondation du monde…Quel bonheur : un quart des investissements marketing en France sont destinés à rendre le monde meilleur’’, ‘’le pouvoir des marques entre en guerre contre la détérioration de la planète’’.
L’avantage avec les publicitaires, c’est qu’ils ont le sens de la formule et de la typographie : les saillies de Jacques Séguéla sont écrites en caractère gras, ce qui encourage le saut de paragraphe. En voici quelques-unes : ‘’charité écologique bien ordonnée commence par soi-même’’, ‘’la mer est une terre d’espoir’’, ‘’eau secours’’, ‘’S.Eau.S’’, ‘’il n’est jamais trop tôt pour savoir qu’il n’est pas trop tard’’! C’est quand même autre chose que du Bruno Latour.
Vous allez me dire : ça ne nous dit pas ce qu’il y a dans ce livre. Et bien si, quand même, un peu. L’écologie, selon notre néo-converti, c’est une grande compilation d’articles et de données scientifiques, plus ou moins sourcés, sur le changement climatique, la biodiversité, l’appauvrissement des ressources, l’intelligence artificielle,…compilation à propos de laquelle Jacques Séguéla aurait pu écrire qu’il ne suffit pas de mélanger toutes sortes de poissons pour faire une bonne bouillabaisse.
Et puis il y a des réflexions plus personnelles. Comme par exemple celle-ci à propos de la sécurité des installations nucléaires : ‘’il faudra qu’on m’explique comment l’homme peut aller vivre sur Mars mais serait incapable de fabriquer une centrale atomique qui ne fuit pas’’. Ou encore celle-là : ‘’il existait dans les toilettes publiques une pancarte : merci de laisser cet endroit aussi propre en sortant que vous l’avez trouvé en entrant. Et si nous appliquions à notre planète la même résolution ?’’
Je ne sais pas ce qu’en penseront les scientifiques qui alertent depuis des années sur le changement climatique lorsqu’ils verront que leurs ouvrages se vendent moins bien que celui de l’ancien dirigeant de RSCG. Mais ne comptez pas sur moi pour endosser la moindre responsabilité. Ne dites surtout pas à ma mère que j’ai fait une chronique sur le dernier livre de Jacques Séguéla, elle me croit journaliste à France Culture.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire