mardi 23 février 2010

Rolex, ma plus belle connerie



Ma plus belle connerie

   Certains mots sont des boomerangs, on les lance en toute inconscience et ils vous reviennent à la vitesse du son. Malheur à celui qui se trompe d’envoi, le retour sera sans pitié. 
Ce matin de février 2009 sur la sellette des 4 vérités, je n’étais pas sur mes gardes. Première faute impardonnable pour un professeur en télé-maîtrise. Trop de plateaux enchainés m’avaient chloroformé. Il n’y a pas de bons interviewés mais uniquement de bons intervieweurs qui vous stimulent par l’inattendu de leur question. C’est, hélas, si rarement le cas. L’intervieweur a le droit à la répétition, pas vous : elle vous mécanise, vous robotise, vous lyophilise. Vous perdez votre acuité et oubliez les millions d’yeux qui vous épient. Aux éternelles mêmes attaques, je tombais dans le piège de l’exaspération. 

  - Et le bling bling ? 

Je me lançais dans une défense exaltée de Nicolas. Je suis ainsi fait, les critiques portées à mes amis me mettent en feu alors que celles qui me sont adressées me laissent froid. Que ne l’ai-je entendu cette ritournelle éventée que chaque journaliste se croit obligé de poser sous peine d’être taxé de partisannerie. Partisannerie, quel beau mot qui associe le meilleur. (Partisan) est le pire (ânerie). Il résume, à lui seul, mon dérapage. Après avoir déjà cent fois rabâché, en bon militant, que l’on ne peut reprocher à un Président de porter Rolex et Ray Ban, attributs qu’affichent ceux qui le lui reprochent, je lâchais l’ânerie : « un homme qui, à 50 ans, ne peut pas s’acheter une Rolex, a raté sa vie. » Par homme, j’entendais naturellement Nicolas Sarkozy, c’est sur lui que portait ma réponse. 
D’ailleurs sur le vif, nul ne réagit, ni l’inquisiteur qui ne fut pas choqué et ne me relança pas, ni William Leymergie qui de la table voisine surveillait le duel, ni nul autre sur le plateau ou en régie. 
Dix ans plus tôt, tout en serait resté là. Mais, nous sommes à l’âge du Net, bel âge et âge ingrat pour cet enfant du Diable et du bon Dieu tout à la fois, irremplaçable informateur et implacable désinformateur. Ce n’est que vers midi que mon assistante vient me prévenir du cyber affolement. Je n’en crus pas mes oreilles, certain que cette phrase n’était pas de moi, elle me ressemble si peu. J’imaginais un fallacieux montage et dus visionner à deux fois la copie de l’enregistrement pour me convaincre de ce que je suis forcé de baptiser: « Ma plus belle connerie ». 
Sortie du contexte, la phrase était une insulte, pire par temps de crise une infamie. Aujourd’hui encore, je ne puis expliquer ce qui n’est ni ce que je pense, ni ce que je suis, ni ce que j’ai pu écrire dans les 25 ouvrages que j’ai commis. Et pourtant, je l’ai dite. Peu friand du « responsable mais pas coupable » : j’assume et m’interroge. 

Quelle mouche perfide m’a piqué. Même à l’adresse du seul Président, ce qui était le cas, la formule restait impropre, imprononçable, impardonnable. Certes, je suis un habitué de l’outrance, un récidiviste de l’excès, un drogué de la provoc mais toujours dans les limites de la facétie. 
Alors, pourquoi ? Est-ce une phrase du pubard des années 80 que j’ai été, restée enfouie au plus profond de mon besoin d’étonner, qui aurait refait surface trois décennies plus tard? Est-ce cette malformation professionnelle qui me fait parler en slogan ? Et cette phrase maudite en est un, d’où son impact ! Est-ce cette passion, que je mets à défendre ceux que j’aime, qui fait mes mots dépasser ma pensée ? Saurais-je jamais ? 
La passion aveugle mais n’est pas une circonstance atténuante. À l’image du cordonnier toujours le plus mal chaussé, je n’ai jamais ni préparé, ni répété, ni contrôlé mes saillies médiatiques. J’ai importé des États-Unis le médiatraining télévisé mais je ne me suis jamais assis en élève devant la caméra. Orgueil de professeur ou suffisance de nanti ? Pas vraiment mon genre. Plutôt inconscience d’enfant gâté de la com qui a trop vu micros et écrans se tendre, sans vraiment le mériter. Car la sarabande médiatique a débuté pour moi dès mes 25 ans et mon tour du monde en 2 CV, pour ne jamais cesser un demi-siècle plus tard. Comment puis-je encore me laisser aller à des fautes de débutant. 

Bref, il n’y avait pas d’excuses, d’où mes propres excuses que je fis dès le lendemain au Grand Journal de Canal Plus. Elles apaisèrent aussitôt la tempête digitale. Aux insultes succédèrent les plaisanteries, certes à mes dépens, mais avec de moins en moins de méchanceté. L’opinion publique s’était emparée du slogan (c’est le destin de tout slogan) et en jouait. Dans la rue on me demandait l’heure, dans les dîners des comptes, dans mon métier on me félicitait presque (« quel coup de pub ! »). La petite phrase faisait sa ronde et chacun entrait dans la danse à sa manière. Baffie le fit à la sienne avec à propos, en homme d’humour et de générosité, ce qu’il est. À l’opposé de l’image de Snipper sans pitié, que sa participation aux émissions d’Ardisson lui a laissée en partage : 

  - Jacques, dans une semaine se tient chez Sotheby’s ma vente de charité pour mes puits africains. Chacun de mes amis met aux enchères un objet personnel qui lui tient à cœur. J’attends ta Rolex. 

  - Mais, je n’ai pas de Rolex, je n’en ai jamais eu. 

C’est bien le comble, je ne faisais pas partie du club des quinqua success-men ! 

  - Dommage, quel Buzz on aurait fait pour ma vente. 

  - Qu’à cela ne tienne, je vais en acheter une… Après tout, c’est une belle façon d’expier ma faute ! 

J’acquis le lendemain un modèle datant de 1983, l’année de mes cinquante ans. Il fut le clou de la soirée, je l’avais payé 1500 euros, les enchères montèrent à 8000 (merci Jean-Claude Darmon). La ronde continuait sa course. 
La semaine suivante, je dédicaçais mon « Autobiographie non autorisée » au Drugstore Publicis lorsque le stand fut envahi par une dizaine de jeunes en blouse blanche gesticulant en chœur. Ils se présentèrent comme le « collectif chargé de guérir les riches », en brandissant une civière sous les micros et les caméras qui les accompagnaient. Je crus à un happening organisé par les créatifs de mon premier concurrent et me prêtait au jeu lorsque l’un des manifestants déclama un speech, aux relents marxistes, sur la nocivité de la Pub et l’incongruité des publicitaires. Curieusement, le texte bien que très agressif n’était pas dit avec acrimonie. Et soudain, le chef de la bande s’approcha un cadeau à la main. C’était une montre bon marché. 

  - Un cadeau de José Bové pour vous apprendre l’humilité, lança-t’il. 

Nous étions en pleine campagne européenne. Le Gaulois Vert venait d’inventer une autre façon de mobiliser les média. Il piègera deux jours plus tard le fils de Nicolas Sarkozy et continuera de tendre ainsi avec humour les pièges médiatiques pour le bonheur des paparazzis de service. 
La phrase maudite, débutée dans les affres, achevait sa course dans la bonhomie politique. Je n’en suis pas absous pour autant mais la dérision l’a emporté sur l’insulte. Dès lors, le rire n’est jamais loin. Pas un humoriste, et d’abord de mes amis, qui ne s’en soit emparé, de Ruquier à Canteloup, de Baffie à Gerra. Est-ce la magie publicitaire du slogan qui en a fait oublier l’énormité ou cette nouvelle communication qu’invente le Net baptisée par les américains : Story Telling (raconter une histoire) qui préfigure mon métier de demain ? 

Hier, la pub était concept que le slogan muait en message que nous enfoncions à coup de spots, d’affiches ou d’annonces dans la tête du consommateur. 
D’aimez-vous les uns les autres, à La Force Tranquille et Just Do It, la mécanique n’a guère évolué en 2000 ans et, sans l’intrusion de la technologie, aurait pu immuablement continuer son chemin. L’ère cyber en a décidé autrement, la pub désormais est une idée qui contient en elle-même le germe d’une histoire dont vont s’emparer les internautes pour lui donner, en fonction de leur humeur du moment, un destin maléfique ou bénéfique. Autant dire que ce sont eux qui décideront demain de la vie des marques et non plus les communicants. Arroseurs arrosés d’un média qui ne leur appartient plus, ils deviennent les hochets de consommateurs hier gogos, changés en pros par les Nineties, et devenus proprios par la grâce cybernétique. Dotés, de chat en blog, de l’arme capable, par communauté interposée, de rayer une marque de la toile. Autrement dit, de la carte. 
Pour ne rien arranger, le patron de Rolex m’accusa, par presse interposée, de souiller son image. Je crus entendre Balladur : « Il est temps de vous arrêter ». Le défenseur des marques que j’ai toujours proclamé être se muait en fossoyeur d’image. La honte m’envahit. J’ai consacré ma vie à faire aimer les grandes marques : Citroën, Vuitton, Afflelou, Carte Noire, Lacoste, Air France, EADS, Areva, Carrefour et tant d’autres, et voici que, d’une seule phrase, j’assassinais l’une des plus sacrée. J’aurai du, à la Vatel, me faire Hara-Kiri à la Française, lorsque je fus sauvé de mes doutes en entrant chez un bijoutier parisien pour faire régler le bracelet du présent de José Bové. 

  - Je vous reconnais, vous êtes l’homme à la Rolex ! Soyez le bienvenu, grâce à vous j’en ai vendu 5 et j’en ai 10 en réparation. Mais, vous ne pouvez pas porter une montre aussi « cheap ». 

Et le bijoutier de m’offrir l’une des plus belle pièce de sa vitrine. 
La ronde n’en finissait plus de rebondir. Parlez en bien, parlez en mal mais parlez de moi disait Voltaire, peut être n’avait-il pas tort ? Pour ma part, les spécialistes m’ayant prédit qu’après cette sortie de route, je ne serai plus en piste de la moindre émission, je n’ai jamais été aussi « demandé » si je puis user cette forfanterie supplémentaire. Rassurez-vous, je n’en tire ni vanité, ni profit. Je connais trop la gente médiatique pour être dupe.

Voici qui me ramène à l’objet de ce livre qui va animer et amplifier la ronde. Chaque co-auteur, en donnant ses recettes de succès, va muer en leçon de vie et donneur d’espoir, une erreur de parcours semeuse de doutes. 
Que chacun en soit remercié, plus encore, Christelle et Julie qui ont eu l’idée de ces interviews sans dérapage. J’avoue, lorsqu’elles sont, pleines de réserves, venues m’annoncer leur projet, avoir une seconde hésité à voir prolonger ma mise sur la sellette. Une seconde, pas plus. Après tout, ce n’est ni la première, ni la dernière de mes « conneries ». Et j’ai toujours eu comme devise l’inoxydable répartie de Michel Audiard : « un con qui marche vaut mieux que dix intellectuels assis ». J’espérais que l’âge m’apporterait la sagesse. Je constate le fiasco mais après tout, pourquoi se plaindre, dans ma condition, du moindre signe de rajeunissement ? 
Mon inconscience a semé, contre toute attente, la graine qui a fait germer les pages qui vous attendent. Vous y forgerez, à votre guise, votre propre modèle de réussite. J’y joins le mien : être là où il faut quand il ne faut pas et là où il ne faut pas quand il faut. Pardonnez moi, une fois de plus, de parler en slogan et d’être si laconique. Mais on ne se refait pas ! 
En remplaçant le verbe faire par dire, la maxime peut même s’appliquer à mon « ânerie », sans elle ce livre n’aurait jamais été écrit. Ne vous laissez pas tenter pour autant, méfiez-vous de la provoc, elle consacre les starlettes, pas les stars. Telle la dynamite, elle fait du bruit mais peut à tout moment vous exploser à la figure. En grand brûlé des 4 vérités, j’aurais pu garder cette cicatrice à vie. 
Le dieu du Storytelling s’est chargé de transformer ma muflerie en belles histoires : celles que vous allez découvrir. Il vous reste à entrer dans la danse et mettre en pratique les secrets de réussite qu’elles accumulent. 
Quant à moi, j’essaierai à l’avenir de remuer 7 fois ma langue de Pub dans ma bouche avant de parler à la télé et m’assurer que le silence n’est pas plus beau que ce que je vais dire. 
Pour ce sage conseil et les plus sages encore de tous les co-auteurs de ces pages qui vous attendent: Merci Rolex ! Au fait, je voudrais bien savoir combien de ceux qui vont vous les donner, et qui ont tous réussi leur vie avant 50 ans, en ont une.

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