jeudi 24 juin 2010

Préface de Jacques Séguéla pour "La publicité, code Visuel

    J'entends déjà les persifleurs: oeuvre en parlant de pub, vous osez le mot oeuvre. Comment poser en art ce qui n'est que commerce? Au risque d'être ridicule, je ne crois pas en cette hypocrisie qui a toujours voulu séparer l'acte culturel de l'acte de consommation. Toute artiste crée pour vendre, tout marchand crée lorsqu'il vend. 

    Mais la provocation (et c'est un peu le partie de ces étoiles) est-elle vraiment création? Certe en tout consommateur sommeille en voyeur: osez et il accourt à la manif, mais est-ce pour la bonne ou la mauvaise cause? 

    Je revendique la bonne. Toute inspiration d'un autre nous inspire à son tour. Plus encore si elle nous surprend. Ainsi mon imaginatif préféré reste Savignac, l'humilité et la malice faites hommes. Plus grande affichiste vivant, il est l'un des derniers poètes de cette fin de siècle, qui leur a fait la vie dure. Retiré dans son petit village normand, il coule des jours anxieux, s'interrogeant sur le devenir de son art. Nos gazettes professionnelles sous-cultivées et sous-informées l'oublient à plaisir. Il est pourtant celui qui a apporté le plus de réflexion à ce métier irréfléchi, la création, "Comment créez-vous?" lui lançai-jeun jour en découvrant l'un de ses carnets d'aquarelles.

    "Par petites touches d'irréalité", me répondit-il, avec ce sourire des yeux des vrais humoriste. Et face à mon étonnement, il enchaîna: " je vais vous raconter une affiche. Seuls les exemples expliquent. Le comité de sauvegarde de Notre-Dame me demanda il y a bien des années de l'aider. Je le fis à ma manière, à coup de fusain. Ma première impulsion fut de monter notre basique traversée par un îlot de voitures. Je l'abandonnai vite, pour faire passer ces démons de la vie moderne au pied de la cathédrale. A nouveau cela manquait d'insolite. Soudain j'eus l'idée d'inciter Notre-Dame, comme si elle était emportée par le flot de la circulation. C'était mieux, mais encore trop réel. Je poussai donc plus loin, je transformai les tours de la basilique en manches, d'où sortaient des mains criant au secours. Cela venait. Mais les autos dessinées en couleur prenaient la vedette. Je recommençai à zéro mon dessin en les gouachant en noir.Elles devinrent comme un fleuve de pétrole. J'y étais". 
Etonnant Savignac, si fin et si tranché, si pudique et si provocateur. "Vous voyez me dit-il, en conclusion, dans notre métier réalité et réalisme n'ont rien à voir". 

    Les toiles de cette anti expo sont à l'unisson, plus vraies que les pubs qu'elle illustrent. La  création n'est pas jeu de hasard. "Dieu ne joue pas aux dés", professait Einstein. Banco! Si je réfute la logique créative, je n'en crois pas moins à la structuration de l'idée. Trente années d'agitation névrotique n'ont enseigné que l'on n'invente rien sans rien. Nos concepts se cueillent sur les racines que nos pères, nos maîtres, nos ancêtres ont semées. La culture reste la seul mine d'idées. Une mine qui ne se tarit jamais. Courons vers notre passé. La palette du créateur, ce sont les chefs-d'oeuvre d'hier. Ainsi n'ai-je jamais connu de créatif digne de ce nom qui ne fut pas nourri en permanence de l'actualité mais aussi de l'histoire. Dans ce melting-pot il trouve au hasard, une curiosité chassant l'autre, la clef de sa cogitation. L'imaginatif analphabète ne fait jamais carrière. 

    L'inventivité est le présent du passé au futur. Aussi faut-il savoir lui laisser le temps de prendre son temps. En attendre une rentabilité immédiate est une gageure. Lorsque Johannes Gutenberg s'intéressa à l'imprimerie, ses clercs pouffèrent de rire: "A qui peut bien servir cette ineptie, puisque personne ne sait lire?" justement: "A apprendre à lire", répondit le maitre. Découvrir, c'est voir un peut plus loin que les autres.

    Etrange alchimie pour Ninon que ce métissage de la pub et de l'art, mais n'est ce pas le moyen de lui donner l'intemporalité. Trop aveuglé par la forme et sa fugacité, la publicité souvent vieillit mal, mais qu'elle devienne oeuvre par le jeu d'un artiste et la voila éternelle. 
Les fils de pub vont s'émouvoir, on les détourne, on les vole; non, on les enrichit. En inspiration, il faut se servir d'autrui mais ne pas espérer de solutions d'autrui. L'inventivité est une fuite individuelle. Le voyage est au bout de soi-même. Certes, l'initiation vient toujours d'un autre. Le don est de faire très vite de cette impulsion votre pulsion personnelle. Alors elle vous entraîne à cent lieux de point d'origine. 

    La créativité est peut-être cette vertigineuse dérive, d'ailleurs elle est régression. C'est bien ce que les non créatifs lui reprochent. En tout artiste ne règle-t-il pas un rebelle? Gainsbourg sans Gainsbarre n'aurait été qu'un grand faiseur de chansons, comme Trénet, comme Goldman, mais surréaliste du quotidien, il brûlera face à la caméra, son billet de 500 balles, comme plus tard la Marseillaise et tant d'autres tabous et deviendra, au-delà du musicien doué, l'étendard de son temps. 

    J'ai fait plusieurs film à l'autre bout du monde, avec Jean-Paul Goude et donc beaucoup de voyage à ses côtes. Enchaîné côte à côte dans ces heures entre parenthèse, il me confia en souriant: "tu sais, je trouve mes idées dans les avions. Ainsi pour le défilé du Bicentenaire de la révolution, mon tableau des valseuse m'est venu entre New York et Paris. J'étais avec Farida, assis aux côtés d'un distingué orientaliste, le fils du maître de musique du roi Hassan. Nous nous mîmes à refaire le monde et ses frontières culturelles. Je revendiquai pour l'Europe l'invention du romantisme; mais notre interlocuteur s'enflamma et trancha: "foutaise, ce sont les Arabes qui ont tout découvert, même la valse". Et de m'expliquer comment, sous l'Empire austro-hongrois, les aristocrates de la cour se rendraient en cachette en Turquie pour voir évoluer les derviches tourneurs. Ainsi créèrent-ils la danse viennoise. Et bien en bon copiste, je suis parti de cette idée pour ma valse arabisante du 14 juillet."

    La matière première de cette transformation est la même que pour Savignac. Mais la même également pour ces étranges tableaux accrochés. De la poésie, Cocteau disait: "C'est un mensonge qui dit la vérité". C'est la définition de cette surexposition. Suivez le guide.    

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