Eighties chéries, eighties enfuies
Je me souviens de ce jour pluvieux de mai 1981 qui fut mon plus beau soleil professionnel. François Mitterrand entrait dans l’histoire et, à sa suite, la publicité politique. Aux urnes citoyens, le jour de gloire est arrivé. Mais les Français sont insaisissables. A peine auront-ils plébiscité un Président, sous couvert de Force Tranquille, qu’ils se noieront aussitôt dans l’apparence et l’agitation.
Je me souviens de la chaise vide de Giscard quittant l’Elysée sur un ultime coup de look, du billet de 500 balles brûlés en direct par Star Gainsbarre, de Mitterrand marchant à la rose, de Tapie marchant à la Wonder, de Jean-Edern Hallier marchant à côté de ses pompes, de Coluche décapité chez Polac par un public devenu bourreau, de Montand soignant notre crise de foi. Bref, je ne me souviens de rien, si ce n’est de personnages à contre-emploi, d’infos à contre-temps, de symboles à contre-valeurs. Etranges années du paraître, où l’image remplaça la réalité, ou le verbe tint lieu d’écrit, où la gloriole fit croire à la gloire.
Drôle d’époque à la tête à l’envers. Le socialisme générera une société d’argent, la communication une société de monologue, l’agitation une évolution une évolution à reculons. La culture, ce fut Sulitzer, la médecine de Rika Zaraï, l’aventure le Paris-Dakar, la France Mireille Mathieu.
Autant de fausses routes. La publicité n’est que la loupe grossissante des réalités sociologiques, elle glisse sur les flux. L’unique façon de vamper une société d’apparence, est de jouer l’apparat. La Métro Goldwyn Mayer avait répondu par la démesure sur pellicule à la frivolité des années 30, la Pub Spectacle allait enflammer la démesure des eighties. Et hop !
Nos campagnes sont des masques qui cachent nos maux d’être. Elles nous étourdissent par leurs facéties et leurs fastes, et nous détournent de nos manques du moment. Cette décennie de faux-semblants, de faux serments, de faux prêtres n’en finira plus d’enterrer son siècle, pour mieux accéder au mirage millénaire. Elle noiera sa peur dans un tourbillon d’images et de trucages. L’imaginaire prendra le pouvoir, la réalité, trop factice, ne sachant plus s’imposer. Le cycle est habituel. Plus les Français s’enfoncent dans un matérialisme béat, plus la fantasmagorie les dédouane de leur vide pensée.
Ainsi je me souviens : en pleine leçon d’économie donnée, autre paradoxe, par les socialistes, « mes chers compatriotes » se mirent à compter leurs sous. Du concert disonique des hypers casseurs de prix à la petite musique des jackpots de la Bourse, tout les menait vers les achats de raison. En bonne logique, le seul rapport amoureux du consommateur et de la pub aurait dû être le rapport qualité-prix. Eh, bien ! Le spot qui vendit le plus de Citroën ne parla ni argent, ni produit. On n’y vit même pas de voitures. Une centaine d’étalons sauvages brisèrent les chaînes d’une ville-parking pour dessiner en plein désert les chevrons de la liberté.
Je me souviens : c’est au début de cette décennie de tous les culots que naquit notre star stratégie. Elle allait en dix ans établir de par le monde notre spécificité et notre succès. Les meilleures idées sont toujours les plus simples. Je fis un raisonnement d’évidence ; qu’est-ce qui nous sépare, nous les hommes, des objets qui nous entourent : notre savoir communiquer. Un pouvoir que nous partageons désormais avec les produits. Eux aussi parlent sur nos antennes, s’expriment dans la presse, s’affichent sur les murs. Ils ne sont plus marques, mais marques personnes. Dotées d’une âme, nos marques allaient affirmer leur différence sociologique et, se médiatisant, devenir les stars de la société de consommation. C’est chose entendue : toute personne qui diffuse son particularisme se stratifie.
La pub spectacle en trois R, le Rêve, le Rire et le Risque, prenait son vol. elle allait nous entrainer sur les rives hollywoodiennes des fantasmes les plus fous. Jamais la création n’avait osé s’engager aussi loin dans l’illogisme et l’irréel.
Et le plus fou sera le public qui suivra, mieux, applaudira à tout rompre. Hollywood lavait plus blanc.
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