lundi 1 octobre 2012

Les Ateliers du Mondial


L’automobile et la publicité : amour fou ou passion raisonnée ? 



Participent à l’Atelier : 

Olivier GANDOLFO, Responsable du Département Publicité, Direction de la Communication et du Marketing, Peugeot 

Laurent HERIOU, Directeur général de la Fédération française des Véhicules d’Epoque (FFVE) 

Etienne FAUGIER, association P2M 

Mathieu FLONNEAU, association P2M, université Paris-I 

Stephen NORMAN, Directeur du Marketing et de la Communication Monde de Renault 

Jacques SEGUELA, Vice-Président d’Havas. 

L’Atelier est animé par Stanislas GRENAPIN, journaliste. 




I) Les Ateliers sociétaux du Mondial de l'Automobile 

Mathieu FLONNEAU 

Nous sommes réunis ici pour le premier Atelier sociétal du Mondial de l’Automobile. L’association P2M (Passé, Présent, Mobilité) a contribué à l’organisation de ces Ateliers et a introduit une nouveauté dans leur contenu. Lorsque nous avons conçu le programme de ces rencontres, en 2008-2009, en collaboration avec François Roudier, Président du CCFA, nous avons traité un thème un peu provocateur : « l’anti-automobilisme » et la contestation de l’automobile. Nous avons alors initié une réflexion portant sur l’impact sociétal de l’automobile et il nous est apparu pertinent de traiter ce sujet dans le cadre du Mondial. Il faut se réjouir de l’élargissement de ces Ateliers à des aspects sociaux. Auparavant, l’on présentait des voitures et on les vendait pendant le Salon. Aujourd'hui, l’on réfléchit aussi autour des questions que pose l’automobile, ce qui témoigne d’une évolution dans la manière d’appréhender un produit qui, comme vous le savez, est en train de jouer son contrat social et son acceptabilité. L’association P2M réunit des spécialistes des sciences humaines qui ne sont pas nécessairement familiers de l’univers automobile et ces Ateliers nous fourniront l’occasion de confronter les points de vue sans perdre de vue la dimension humaniste à laquelle nous sommes très attachés. 

II) Introduction 

Etienne FAUGIER 

Il ne sera pas seulement question d’automobile au cours de cet Atelier, car nous ne sommes pas obligés de parler d’automobile pour évoquer la publicité automobile. La publicité repose traditionnellement sur quatre piliers : 
  • les supports qu’utilisent les publicitaires (papier, télévision, cinéma, etc.) ; 
  • les objets (dont l’automobile constitue un exemple, de même que la route ou le conducteur) ; 
  • les cibles, qui peuvent être multiples (hommes, femmes, adolescents, troisième âge) ; 
  • les messages, qui constituent le cœur de la démarche publicitaire et qui peuvent, là aussi, revêtir plusieurs dimensions (économie, environnement, etc.). 
L’affiche du Salon de l’Automobile de 1901 nous fournit un exemple d’utilisation de l’art dans la publicité automobile. Une image plus récente, l’affiche du Mondial de l'Automobile de 1994, est assortie d’un slogan intemporel (« on n’arrête pas un rêve qui marche »). Enfin, une image de l’exposition de la collection Ralph Laurent au musée des Arts et Métiers peut être perçue comme de la publicité automobile. 

Au cours de cette Histoire, nous sommes passés de la publicité au marketing de masse. Si Citroën illuminait la Tour Eiffel en 1924, 1925 et 1934, le constructeur a également inauguré des expéditions telles que « la Croisière jaune », déclinant ainsi la publicité à différentes échelles et sous différentes formes. Plus récemment, la publicité a utilisé le cinéma comme vecteur, comme nous le montre encore aujourd'hui le personnage de James Bond, qui promeut à travers ses aventures des modèles de différentes marques depuis sa création. 

Plus près de nous encore, une publicité pour la Volkswagen Passat, diffusée pour la première fois en 2011, a été visionnée 52 millions de fois sur Internet. Si ce constat illustre les profondes évolutions qu’a connues la communication publicitaire dans la période récente, il soulève aussi la question de la possibilité d’une overdose publicitaire. Existe-t-il un amour fou entre la publicité et l’automobile ou s’agit-il d’une passion raisonnée ? 

Stanislas GRENAPIN 
La publicité automobile a près de cent ans. Elle est apparue au lendemain de la première Guerre mondiale, à un moment où la Ford T représentait la quasi-intégralité de la production automobile. Depuis lors, la publicité a considérablement évolué. Laurent Hériou, pouvez-vous rapidement retracer cette évolution ? 

Laurent HERIOU 
La publicité va suivre l’automobile et, ce faisant, elle suit les modes. La publicité s’adapte au produit qu’elle doit promouvoir. Le slogan de Ford était simple : « achetez une Ford T, pourvu qu’elle soit noire », car il ne souhaitait – et ne pouvait – fabriquer que des voitures noires. 

Stanislas GRENAPIN 
Peut-on affirmer qu’à l’époque, le produit suit la société et non le contraire ? 

Laurent HERIOU 
Vous avez montré l’image de la marque Citroën dessinée dans le ciel de Paris, en 1925. Très tôt, cette marque va s’efforcer de fidéliser ses clients dès leur enfance avec le fameux slogan : « papa, maman, Citroën ». 

Stanislas GRENAPIN 
En 1920, la voiture représente encore un luxe inouï. Au cours des années 50, les publicités automobiles mettent davantage l’accent sur la famille, sur des voitures plus grandes et sur le confort. Les années 60 ont ensuite donné lieu au véritable développement de la publicité automobile. Autour de 1970, la publicité automobile s’attache à donner une image très virile de la voiture, avant de faire une large place au spectacle au cours de la décennie suivante. 

Chacun se souvient par exemple du film de la 205 GTI jetée d’un avion ou de la Citroën Visa sortant de l’eau sur le pont d’un sous-marin. Il semble que la création se soit aujourd'hui assagie, ce qui peut apparaître comme le reflet des difficultés de l’époque que nous traversons. 

Laurent HERIOU 
Le message publicitaire a beaucoup évolué au cours de cette Histoire. On a longtemps vanté la robustesse et la performance des véhicules. Les messages sont aujourd'hui d’une tout autre nature. 

Stanislas GRENAPIN 
Rappelons qu’environ 30 milliards d'euros sont investis chaque année dans la publicité en France. Pour autant, la publicité automobile est-elle aussi prescriptrice qu’elle a pu l’être ? 

Jacques SEGUELA 
Je note d'abord avec plaisir que tous les exemples cités par Etienne Faugier en introduction ont été empruntés à Citroën. L’audience clairsemée qui est présente aujourd'hui témoigne aussi du courage qu’il faut aujourd'hui pour parler de publicité, laquelle subit un certain discrédit. On ne peut pas dresser un constat aussi négatif du point de vue de la création. La dernière image que vous avez projetée est celle du film de Volkswagen présentant un enfant déguisé en Dark Vador. Ce spot a failli remporter l’an dernier le Grand Prix du Festival mondial de la publicité, qui se déroule chaque année à Cannes. Il a été jugé le meilleur film du monde en matière d’automobile, étant entendu que près de 100 000 films sont tournés chaque année dans le monde sur ce thème. L’automobile continue donc de faire rêver. Il est vrai que nous n’étions pas encore entrés tout à fait dans la crise : après le choc de 2008, nous pensions remonter la pente, sans savoir que nous allions recevoir une gifle terrible fin 2011 et en 2012. 

Depuis lors, la publicité (qui est le reflet de la société) a subi l’impact de la crise. En témoigne l’absence de tout film publicitaire automobile dans le palmarès du dernier Festival de Cannes de la publicité. La raison est simple : les annonceurs ont peur de la crise. Ils ont tort : plus la crise est dure, plus il faut investir dans la publicité. Saluons d'ailleurs la performance de Peugeot, dont les nouvelles immatriculations ne reculent que de 0,9 % au mois de septembre, là où le recul est de 18 % pour l’ensemble des marques en France. 

Stanislas GRENAPIN 
Il convient de rappeler que Peugeot dispose d’un nouveau modèle, ce qui contribue sans doute à ce résultat. 

Jacques SEGUELA 
Cela nous montre surtout qu’il ne faut pas désespérer. Certes, nous traversons un passage difficile. Il l’est pour PSA dans son ensemble. 73 millions de voitures vont tout de même être vendues dans le monde en 2012, soit 3 millions de plus que l’an dernier. En France, le marché va sans doute reculer de 10 %. C’est un mauvais moment à passer et c’est le moment où il faut réagir. Les Coréens ont surinvesti en France et dans le monde entier ces dernières années. Ils ont pris des parts de marché grâce à ce matraquage. La publicité doit être utilisée quand tout va bien ou quand cela va très mal. C’est dans les périodes moyennes qu’elle est généralement la moins efficace. 

La créativité, en matière de publicité automobile, est toujours là et sera toujours présente. Elle se déplace. Si le print (c'est-à-dire le papier) a pendant longtemps constitué le principal vecteur de publicité, l’affichage lui a succédé, puis la radio et la télévision. 

Le « print » a pratiquement disparu de la publicité automobile et il ne subsiste que des « packshots » affichant un prix. Je hais ces publicités, car personne n’a besoin de réserver une page dans un journal pour livrer cette information au consommateur : il suffit à celui-ci d’aller sur Internet pour obtenir la même information. Je me bats pour que nos équipes restent créatives quel que soit le support, car un Français sur deux lit encore le journal tous les matins. Il n’en demeure pas moins qu’Internet est le media du moment. Nous sommes ainsi passés de la dictature de la communication (lorsqu’on assommait le consommateur à coup de slogans répétés) à la démocratie participative : l’internaute réagit, prend parti et dit ce qu’il pense, ce qui ouvre des voies extraordinaires à l’automobile. Celle-ci se saisit fort peu et fort mal de cette opportunité pour l’instant, en France comme ailleurs. 

Dans dix ans, une voiture sur deux sera achetée sur le Net. Cette évolution est inéluctable, même si elle posera de très gros problèmes aux concessionnaires, qui subiront la même évolution que les supermarchés, où nous n’achèterons plus qu’un paquet de café sur deux. C’est dans ce media que l’invention et l’imagination sont les plus grandes aujourd'hui. Dans le même temps, le Net constitue un tel fouillis qu’on peine à isoler ce qui vaut la peine de s’y attarder et à connaître précisément les retours qu’offre ce support. On sait, par contre, qu’un bon film de publicité va générer un trafic que l’on peut mesurer vers les concessions. La créativité demeure en tout cas intacte. Elle tend seulement à se déplacer d’un media à un autre. Et il existe encore de très grands films automobiles. 

Stanislas GRENAPIN 
Le but de la publicité est de toucher un certain public. Olivier Gandolfo, la créativité est-elle au centre de vos réflexions lorsqu’il s’agit de lancer une nouvelle campagne pour Peugeot ? 

Olivier GANDOLFO 
Le choix du public découle avant tout du choix du media. La créativité est centrale dans notre réflexion, même si elle est peut-être plus difficile à encadrer aujourd'hui, pour une raison simple. En 15 ans, nos gammes se sont considérablement étoffées puisque chacune compte environ 21 modèles aujourd'hui, contre 7 à la fin des années 90. Le même constat peut être fait pour les autres constructeurs. Or les budgets de production des campagnes n’ont pas été multipliés dans les mêmes proportions. En outre, il existe des standards de qualité qui font des films des productions encore coûteuses. C’est ce qui explique qu’après une période pendant laquelle des films étaient ciblés sur un marché et une culture, nous ayons privilégié des films réalisés pour un public large, européen ou pan-européen, voire mondial. 

Stanislas GRENAPIN 
Cette évolution n’abaisse-t-elle pas le niveau de créativité de la publicité ? 

Olivier GANDOLFO 
Cela accroît le défi que doivent relever les agences. L’objectif n’est pas de diminuer la qualité des campagnes car un tel résultat serait d’autant plus désastreux qu’il faut émerger de la masse des messages reçus par les consommateurs. Pour être émergent, il faut être disruptif et donc savoir prendre des risques. Or la prise de risques se paie plus cher dans les périodes difficiles comme celle que nous traversons, ce qui peut expliquer une tendance à jouer la carte de la sécurité. 

Jacques SEGUELA 
Voilà un annonceur honnête ! 

Olivier GANDOLFO 
Par ailleurs, il y a quelques années, les campagnes étaient souvent conçues dans une logique verticale, ce qui est encore vrai pour la promotion (qui a pour objet d’informer les consommateurs d’une opération spéciale, à une date précise). Dans le schéma « classique », nous achetions une série de medias (télévision, affichage, presse, radio) dans une logique verticale pour « matraquer » nos messages pendant une période donnée, avant de passer à autre chose. Aujourd'hui, un film performant en télé va rester sur YouTube et pourra être revu sur Internet. Il va générer une certaine audience et, dans certains cas, il sera réactivé à la télévision. Pour autant, nous aurons arrêté la campagne radio et la campagne de presse. Nous fonctionnons ainsi dans des logiques temporelles très différentes. Trois grandes tendances résument l’évolution de la publicité automobile ces dernières années : l’extension des gammes, la mondialisation et la rupture de la continuité temporelle dans la diffusion des campagnes. 

Stanislas GRENAPIN 
Stephen Norman, en ayant pour conséquence d’effacer dans les messages les spécificités régionales, sociales et culturelles, la mondialisation donne des objets peut-être plus lisses que ce que produisait une communication beaucoup plus ciblée que nous connaissions auparavant. 

Stephen NORMAN 
Je n’ai pas observé le même phénomène que celui décrit par Olivier. Pour des raisons d’image de marque et économiques, lors d’un lancement, y compris en Europe, nous cherchons bien sûr à trouver une campagne « icône » qui puisse être utilisée dans de nombreux pays à la fois. Cela dit, selon mon expérience, rares sont les cas dans lesquels une seule campagne peut être réalisée pour l’ensemble de l’Europe. Même Volkswagen n’y parvient pas. 

Lorsque nous travaillons au développement de Renault en Amérique Latine, force est de constater que nous traitons une image très différente de celle qu’a Renault en Europe. Nous devons évidemment en tenir compte. Je pense que nous devrons attendre au moins un cycle de produit (c'est-à-dire environ sept ans), si ce n’est deux cycles, avant d’atteindre l’utopie que vous décrivez, à supposer qu’elle se réalise. 

Le Docteur Piech a annoncé le lancement de la campagne de Volkswagen « Das Auto » dès 2001. Ce slogan n’a commencé à être utilisé en Amérique Latine qu’en 2008 ou 2009, car la gamme correspondante n’était pas encore prête. Il en est de même pour nous compte tenu de nos différents marchés. 

Stanislas GRENAPIN 
Le film récompensé par le Grand Prix du Festival mondial de la publicité à Cannes, avec le personnage de Dark Vador, fait-il la part belle à la créativité pour la créativité ? Où est le public et celui-ci correspond-il aux consommateurs potentiels de la marque ? Tous nos enfants ont vu ce film au moins 12 fois mais ils n’achètent pas d’automobiles. Le film est drôle et chacun se souvient sans doute, après l’avoir vu, qu’il vante un produit Volkswagen. Cela dit, je ne suis pas convaincu que les résultats d’une telle campagne soient aussi spectaculaires en termes de notoriété spontanée. 

Olivier GANDOLFO 
Ce film me paraît un excellent contre-exemple en termes de stratégie marketing. Un choix a d'abord été fait en termes d’achat de medias, puisque le film a été diffusé initialement pendant le Superbowl aux Etats-Unis. Il s’agit d’un espace extrêmement cher mais offrant une très forte visibilité, susceptible de favoriser « l’émergence » que j’évoquais, a fortiori si le film bénéficie d’un relais sur Internet. 

Il est également intéressant de constater la grande réactivité de la stratégie de Volkswagen suite à la première diffusion. Le film est conçu pour le marché américain et met en avant une fonctionnalité différenciante, le démarrage à distance du moteur (fonctionnalité proposée exclusivement aux Etats-Unis, où les hivers sont très froids). Il utilise par ailleurs une référence iconique de la pop culture, Dark Vador. 

Le spot a connu un tel succès que la Direction de Volkswagen Europe l’a transposé en Europe, avec un modèle distinct (en témoigne la face avant du véhicule) et une fonctionnalité différente : dans le film européen, le père utilise simplement le « plip » qui permet d’ouvrir ou de fermer les portes à distance. Si le Directeur marketing de Volkswagen Europe avait proposé à son patron un film supposé différenciant centré sur l’utilisation du « plip », sans doute le spot n’aurait-il même pas été tourné. La marque a cependant fait preuve de réactivité en raison de la forte créativité du film, qui a suscité une forte adhésion en créant un capital de sympathie au bénéfice de la marque. On ne lâche pas un tel sillon : il s’agit de l’exploiter pour en tirer parti. 

Jacques SEGUELA 
Notre métier n’est pas de faire des campagnes mais d’accompagner des marques. J’ai la chance d’accompagner Citroën depuis 55 ans. J’ai vu passer tous les Présidents, tous les directeurs commerciaux, etc. Je suis la mémoire vivante de cette Maison et j’ai toujours pour elle la même passion. Je suis d'ailleurs allé peloter des voitures dans les allées du Salon et j’ai envie de mettre la DS dans mon lit. Je n’ai jamais vu une voiture aussi belle de ma vie ! Le métier d’un publicitaire est d’accompagner une marque jusqu’à son dernier souffle, dans les bons comme les mauvais moments. Ce sont les produits qui font le succès des campagnes et non l’inverse. Les créatifs doivent rester humbles devant ce constat. Le film de Volkswagen met en avant une invention géniale : il suffit d’appuyer sur un bouton, à distance, pour que le moteur démarre. C’est cette invention, formidablement mise en images, qui explique le succès de la campagne aux Etats-Unis. 

Puis survient un phénomène qui nous échappe, le « buzz », répandu par le Net. On ne peut évidemment le prévoir. 10 000 campagnes sont lancées chaque semaine sur le Net. Deux ou trois feront le tour de l’Europe et une seule fera le tour du monde. Toutes les autres représentent de l’argent jeté à la rivière, ce qui est d'ailleurs terrorisant pour les publicitaires. Nous savons qu’il s’agit du media de demain. Nous y entraînons nos clients, qui sont souvent plus réticents que nous, à juste titre. Nous mobilisons les meilleurs créatifs. Mais finalement on ne sait pas vraiment où l’on va. 

Dans une période relativement récente, le public était facile à circonscrire. Nous connaissions l’âge moyen de notre client (qui était un peu plus élevé pour Citroën que pour Peugeot). 

Stanislas GRENAPIN 
Aujourd'hui, l’acheteur d’une voiture a en moyenne 50 ans. 

Jacques SEGUELA 
Absolument. Notre combat a d'ailleurs consisté à abaisser cet âge moyen. Nous réalisions un film pour cet acheteur moyen. Je le diffusais sur TF1 le dimanche à 20 heures et je savais alors que nous allions toucher 82 % des Français avec un spot de 30 secondes. En prévoyant deux ou trois diffusions dans la semaine, nous avions fait notre travail pour deux ou trois mois. Aujourd'hui, le public nous échappe en large partie. Seule la télévision donne de l’ADN à une marque ou à un produit. Il est vrai que nous ne pouvons pas concevoir des films mondiaux, car on ne vend pas les mêmes modèles, un jour donné, dans différents pays, même si les constructeurs essaient d’aller dans cette direction. Citroën a par exemple lancé sa DS5 en Chine avant de la lancer en France. Il demeure néanmoins extrêmement rare de lancer un véhicule à l’échelle mondiale. Soyons aussi conscients qu’en matière d’automobile, la décision s’est déplacée : il y a longtemps que celui qui détient le portefeuille n’achète plus sa voiture. 

C’est plus souvent son enfant, parfois son épouse ou sa belle-mère, qui décide. Si votre enfant a 14 ou 18 ans, vous n’achèterez jamais une voiture qui ne lui plaît pas. Il n’existe donc pas un client déterminé mais plutôt des mouvements de mode qui orientent le choix des clients vers tel ou tel modèle à un moment donné. 

Le Mondial de l'Automobile a d'ailleurs suivi cette évolution. Il s’est transformé au fil des ans et est magnifique à parcourir. Saluons d'ailleurs Renault, qui n’a pas toujours fait que des belles voitures. La nouvelle Clio est formidablement réussie. Nous disposons de trois superbes modèles français, avec la nouvelle Peugeot et bien sûr la DS, qui reste à mes yeux la plus belle de toutes. Nous assistons en tout cas à une révolution de l’esthétique et de la technologie, à un degré que nous n’avions pas connu dans l’automobile depuis de nombreuses années. Notre métier est de lancer des modèles et de leur conférer une existence à travers une caractéristique distinctive. C’est là que la publicité peut jouer un rôle essentiel, pourvu que le message s’appuie sur un atout réel du produit. Il s’agit ensuite d’essayer de manier la réputation du modèle, un peu comme pour des acteurs de cinéma. On aime un acteur pour un film que l’on a aimé et on voit ensuite à travers eux tous les films dans lesquels ils ont joué. Il en est de même lorsque vous montez dans une DS. C’est d'ailleurs la raison de cette dénomination, que j’ai eu assez de mal à imposer à Citroën. 

Stanislas GRENAPIN 
C’est donc vous ! 

Jacques SEGUELA 
Absolument, de même que Picasso. Je ne vous dirai pas le nom du prochain modèle… Lorsque vous admirez une voiture, vous voyez tous les autres modèles de la marque. Chaque acheteur compte et chaque message de la marque compte, qu’il soit publicitaire, sociétal ou économique. La voiture est le dernier objet de désir parce que les femmes achètent un homme et ceux-ci achètent une femme, à travers une voiture. Il s’agit d’un achat incroyablement sensuel et l’achat le plus important d’une vie, après celui de la maison ou d’un appartement. Cet achat très impliquant mobilise aussi les plus vieilles règles du commerce, qui sont immuables. Je pourrais vous parler d’un film que j’ai fait il y a 35 ans avec Jean-Paul Goude et Grâce Jones pour la CX. Il fonctionnerait aussi bien aujourd'hui. Son slogan (« créative technologie ») reste d'ailleurs d’actualité. 

Stanislas GRENAPIN 
A une époque, les constructeurs connaissaient infiniment mieux leurs clients et il leur était beaucoup plus simple de s’adresser à eux. 

Laurent HERIOU 
La gamme des produits était considérablement plus restreinte, comme le rappelait Monsieur Gandolfo. Le client de chaque marque avait aussi un profil bien identifié. En outre, le client était fidèle, ce qui est beaucoup moins le cas aujourd'hui. Les messages ont évolué en conséquence : ils vantent parfois un modèle mais mettent de plus en plus souvent l’accent sur la marque, à l’image de la signature de Volkswagen (« Das Auto »). 

Stephen NORMAN 
La création n’est pas en berne. Je crois plutôt qu’il s’agit d’un phénomène cyclique. Je me souviens de la campagne CX créée par Jean-Paul Goude, qui avait suscité une large polémique dans les années 80. Nous traversons sans doute une période plus « creuse » de la création en France et en Europe. Je ne crois pas que ce phénomène soit à imputer à la récession. Peut-être sommes-nous trop occupés par d’autres priorités, en tant qu’annonceurs, pour suivre la publicité comme il le faudrait. Cette rencontre nous fournit déjà une occasion pour nous préoccuper de nouveau de ce sujet. 

Depuis plusieurs décennies, l’infidélité aux marques avoisine 50 %. Le phénomène n’est donc guère récent. Le marché français est arrivé à maturité en 1976 et son niveau oscille autour du même point depuis lors. 

Dans un tel contexte, si un client a possédé cinq Golf ou (prions !) cinq Mégane, on peut comprendre qu’il ait le désir d’acheter une autre voiture. Je me souviens que lorsque je travaillais au sein de Volkswagen, bien avant qu’Audi ait atteint son niveau actuel, les clients de Golf avaient généralement le désir d’acheter, après une Golf, une BMW de série 3. Nous avions la bêtise de ne pas l’admettre alors que nous ne devrions pas être obnubilés. 

On affirme souvent, dans l’automobile automobile, que la fidélisation coûte moins cher que la conquête. C’est totalement faux. Rien ne coûte moins cher que la conquête aujourd'hui dans l’automobile. Vous pouvez offrir un service exécrable. Dès lors que vous pratiquez une remise suffisante, des clients viendront. Ce n’est certes pas la bonne manière d’aborder le marketing automobile. Le constat demeure cependant. 

Quant à la part de la création et des facteurs subjectifs ou émotionnels (50 %) dans la décision d’achat, je crois qu’il en a toujours été ainsi, même si on ne la mesurait pas il y a plusieurs décennies. 

Olivier GANDOLFO 
Il faut aussi avoir conscience du fait que nous ne cherchons plus à communiquer qu’auprès de nos acheteurs. L’âge moyen de l’acheteur d’un véhicule Peugeot, Citroën ou Renault est compris entre 47 et 52 ans suivant les modèles. Les acheteurs de voitures neuves de moins de 30 ans sont de plus en plus rares. On entre aujourd'hui dans la vie active à 25 ans et on dispose alors généralement d’un budget assez mince. 

Une voiture neuve représente une dépense importante et le groupe cible, du point de vue commercial, n’est pas là. Cela dit, une personne de 30 ans a établi, à ce stade de sa vie, sa shopping list : si à 30 ans elle n’aime pas une marque automobile, elle ne l’achètera pas. Nous avons là un premier paradoxe à gérer : les commerciaux nous demandent de cibler leur groupe « cible » tandis que nous les incitons à soigner l’image de la marque auprès de jeunes prescripteurs, faute de quoi la marque risque de se priver d’une partie de ses acheteurs potentiels au cours des cinq années suivantes. 

Nous voyons aussi que les marques sont en train de se recentrer sur des discours de marque qui deviennent presque plus forts que les produits, en ayant ceux-ci en germe. L’on peut promouvoir l’écologie, une approche de la mobilité ou encore une certaine vision de la société. C’est ce que Renault et plus encore Dacia font très bien, en montrant qu’on peut faire le choix de ne pas consacrer tout son argent à la voiture. A l’époque de la 205, par exemple, la communication publicitaire vantait seulement le produit et ses caractéristiques. On se moquait bien de connaître le discours qui allait être véhiculé sur les autres modèles. Aujourd'hui, le discours portant sur un modèle est moins anodin car il génère une perception globale de la marque. 

Stephen NORMAN 
Je suis tout à fait d'accord avec cette analyse. 

Jacques SEGUELA 
100 nouveaux modèles sont présentés lors du Mondial et 5 000 modèles automobiles sont en circulation dans le monde, dont près de 700 en France. Cette abondance alimente la créativité de l’automobile mais elle tue la créativité publicitaire, car nous ne saurions réaliser 5 000 films créatifs par an. C’est le renouvellement auquel nous assistons dans la rue qui fait de l’automobile le dernier domaine un peu excitant. Il a fallu la magie de BETC (la meilleure agence du monde !) pour inventer les « bébés rollers » dans une campagne pour une eau minérale qui coûte trois fois plus cher que la Cristalline. 

La voiture est le reflet de soi-même, de ses rêves, de ses passions… Ce n’est pas un hasard si la voiture à la mode aujourd'hui est un SUV. Une voiture sur sept est un 4x4, alors que personne ne va plus en voiture à la campagne. 

Les gens roulent dans des voitures qui sont ridicules en ville parce que cela va mal et que les gens sont inquiets du lendemain. Ils ont besoin de liberté, de se sentir au-dessus des autres et invulnérables. 

Toute bonne publicité automobile vend toutes les voitures du monde. Un journaliste danois qui fut le dernier amour de Marilyn Monroe a écrit un livre extraordinaire sur cette liaison. Arrivé à New York, il a rencontré l’actrice alors qu’elle tournait un film et a réussi à la séduire, bien qu’il fût petit, moche. Il me ressemblait à tel point que je me suis demandé « pourquoi pas moi ? ». Il a emmené Marilyn dans le Sud des Etats-Unis, sous l’œil des paparazzis, pendant trois ou quatre jours. A la fin de son livre, il dit : lorsque j’embrassais Marylin, je savais que tous les hommes du monde embrassaient Marilyn avec moi. Il en est de même pour la publicité automobile. Il est vrai que la créativité de la France, dans ce domaine (si l’on excepte BETC, qui est aujourd'hui une des dix meilleures agences du monde sur le plan de la création), est en baisse, parce que le pays va mal. Je ne comprends pas que les journaux fassent leur une sur Sarkozy ou Hollande au moment du Mondial de l'Automobile : c’est cet événement qui va nous faire rêver et qui peut relancer la consommation. Parlons de choses positives, et non des élections qui sont derrière nous ! La publicité automobile est toujours positive. 

Nous parlions tout à l’heure de la promotion. Celle-ci est bien sûr nécessaire. Elle implique une double créativité. La première réside dans l’offre. Si la proposition de l’annonceur n’est pas intéressante, nous ne pourrons que produire un film « packshot » qui n’aura aucun intérêt. Si l’offre ne se résume pas seulement par un prix et contient une idée, les publicitaires seront créatifs et la créativité du message s’ajoutera à la force de la proposition commerciale. Nous aurons alors une publicité émergente. 

Nous avons réalisé la semaine dernière un film pour l’un de nos clients, les magasins But. Nous avons offert aux clients de But une année de logement gratuit. Il s’agit d’une idée très ancienne, mille fois reprise. Mais la campagne survient dans un contexte où le logement est la première préoccupation des Français. Même la promotion peut anoblir l’automobile, à la condition que l’idée réside d'abord dans l’offre. Or l’offre de promotion en France fait preuve d’une invention assez faible, ce qui pénalise le marché. 

Stanislas GRENAPIN 
Sommes-nous aujourd'hui dans une publicité de crise ? 

Stephen NORMAN 
Je ne crois pas que la publicité de crise soit différente de la publicité réalisée en période de croissance. Par contre, les annonceurs ont sans doute d’autres priorités, ce qui explique que la période actuelle ne soit pas la plus favorable à la création. Je suis d'accord avec ce qui a été dit à propos de la promotion et il est évidemment beaucoup plus difficile d’être créatif lorsque la proposition de l’annonceur est faible. Fiat propose aujourd'hui une offre très inventive en Italie : achetez un véhicule neuf et le carburant vous coûtera 1 euro par litre au cours des trois premières années. Tous les constructeurs ont offert à leurs clients le carburant gratuitement pendant quatre ou six mois et les consommateurs ont crié à l’arnaque en se rendant compte que cela représentait un montant inférieur à celui d’une remise. Il est moins facile de calculer l’économie associée à un prix de 1 euro par litre pendant trois ans ! C’est donc une excellente offre de promotion. 

J’ai beaucoup aimé votre anecdote à propos de Marilyn Monroe, même si l’auteur dont vous parlez était sans doute un peu pervers. Personnellement, lorsque j’embrasse ma femme, je n’imagine pas que tous les hommes de la Terre l’embrassent en même temps. 

Par ailleurs, je ne pouvais m’empêcher de me demander, s’il existe un lien entre la beauté de la femme qu’on aime et la voiture que l’on conduit, que penser de tous les propriétaires d’une Fiat Multipla. 

Stanislas GRENAPIN 
Si l’on diffusait de nouveau la publicité avec Grace Jones aujourd'hui ou le film de la Citroën Visa, sans doute le message apparaîtrait-il trop « bling bling ». 

Olivier GANDOLFO 
Il faut être créatif sans être à côté de la plaque. Certaines choses sont acceptables dans une culture donnée à un moment donné. Ne pas respecter ces codes peut exposer à de sérieuses déconvenues. Nous avons tous commis de tels impairs. 

Effectivement, tout a été fait en matière de promotion. Chaque fois que l’on cherche des idées réellement nouvelles et créatives du point de vue de l’offre, l’on se rend compte que la réalité du terrain (conditions financières, animation du réseau, etc.) rend le concept difficilement applicable. On revient alors à une idée beaucoup plus simple telle qu’une remise de 2 000 euros. Le travail porte alors sur « l’enrobage » de l’offre, qu’il faut soigner. 

Nous avons cependant tendance à raisonner de façon ethnocentrique. Certains pays connaissent une forte expansion et voient leur marché exploser. Ils aiment parfois le « bling bling ». Au Brésil et en Chine aujourd'hui, il faut aller dans ce sens et flatter la valorisation de soi. Nous voyons également réapparaître aux Etats-Unis des communications (dernière Lexus, Dodge Charger) extrêmement puissantes et valorisantes pour l’acheteur. Nous ne sommes plus dans la démonstration de produits. Il existe des cycles, comme le rappelait Stephen. Etre le pionnier d’un cycle garantit une plus-value importante. On peut aussi suivre une tendance et tirer son épingle du jeu. Si l’on agit à contretemps, l’échec est assuré. 

Jacques SEGUELA 
Chrysler a été sauvé par un spot, « made in Detroit », qui illustre toutes les valeurs de l’Amérique. Il s’agit typiquement du type de message diffusé dans les années 70 et 80 en Amérique. De la même façon, la Chevrolet Sonic a été sauvée par les films à grand spectacle tels que ceux que je faisais à l’époque pour la 205 GTI ou la Citroën Visa. Tout revient en son temps. 

Stephen NORMAN 
Nous sommes à un point où les films à grand spectacle en Europe ne fonctionnent plus. 

Jacques SEGUELA 
Parce que l’Europe est en déclin. 

Stephen NORMAN 
J’observe la même chose en Amérique Latine, en Russie et en Inde. Si le message ne se situe pas au premier degré, les ventes restent atones. La publicité de deuxième degré, qui propose une sorte de snobisme à rebours, peut fonctionner pour Dacia, sans doute parce que la cible de cette marque est très contrainte. Une autre cible pertinente pour de tels messages est constituée par les pilotes d’avion, qui sont les plus radins de la Terre et qui constituent une cible « fortuite » pour une telle marque. Nous oscillons en ce moment, en Europe, entre deux tendances extrêmes. Les consommateurs n’osent plus aimer la publicité spectaculaire que j’affectionne. Ils n’aiment pas davantage la publicité démonstrative, qui met l’accent sur la valeur du produit, car ils la jugent trop compliquée. Nous sommes un peu dans une ornière et nous devons nous montrer créatifs pour en sortir. 

Le jour où le film de Volkswagen avec Dark Vador est sorti, je me trouvais à Buenos Aires. Ma fille m’a appelé en me disant : il faut que tu voies ce film sur le Net. Celui-ci était alors visible depuis à peine une demi-heure. Il y a beaucoup de choses à faire mais nous devons retrouver notre pep's. Même à Londres, réputée pour la qualité de sa création, les très belles campagnes se font rares actuellement. 

Jacques SEGUELA 
La création vient aujourd'hui d’autres pays. Elle vient du Brésil ou même d’Allemagne, qui est aujourd'hui le 4ème pays le plus créatif du monde, alors qu’il se classait 12ème il y a quelques années. La France, qui était 3ème, a pris la 12ème place. Cela dit, je ne suis pas tout à fait d'accord avec vous en ce qui concerne la publicité « spectaculaire ». Les campagnes préférées des Français, depuis trois ans, sont des films pour Canal+ (« le placard », « l’ours », etc.). Ces films extraordinaires, qui ont remporté tous les prix à Cannes cette année, comportent une notion de spectacle en y ajoutant de la finesse, de l’humour et un scénario, là où les films que nous faisions dans les années 80 se contentaient d’une avalanche de cascades. Ils reposent aussi sur une réalité du produit. Par comparaison, Citroën ne me laisserait jamais faire aujourd'hui la publicité du porte-avions, sauf si elle était dotée d’une peinture antirouille. Si le « plus » créatif ne repose pas sur un « plus produit », le publicitaire ne fait pas bien son métier. C’est la raison pour laquelle ce métier repose toujours sur un binôme composé par l’annonceur et l’agence. 

Stanislas GRENAPIN 
L’environnement et le véhicule électrique font-ils partie du cahier des charges initial de toute campagne aujourd'hui ? 

Olivier GANDOLFO 
La situation a changé puisque nous ne parlons plus exclusivement de moteurs thermiques aujourd'hui. Nous devons prendre en compte deux modes de propulsion alternatifs que sont les véhicules hybrides et les véhicules électriques. Pour autant, même à l’époque des moteurs thermiques, des débats sans fin ont opposé le diesel à l’essence et le filtre à particules au diesel « classique ». Les discours relatifs aux modes de propulsion restent étroitement liés aux évolutions technologiques. Une nouveauté réside dans la catégorisation des consommateurs : le discours que l’on porte sur le véhicule électrique est urbain ou péri-urbain, plus « branché » et plus en phase avec l’utilisation d’Internet, ce qui délimite un cercle plus restreint que la cible habituelle des medias de masse. 

Stephen NORMAN 
Ceci me paraît très bien résumé. Je voudrais revenir sur un propos tenu par Jacques Séguéla car il y a là un rappel important pour quiconque porte un jugement sur la publicité : le produit fait tout. Je travaille dans le marketing automobile depuis 36 ans. Notre intervention peut accroître le succès ou atténuer l’échec d’un produit. Je n’ai jamais vu le marketing ou la publicité transformer un échec en succès. Fort heureusement, je n’ai pas non plus réussi à faire d’une réussite un fiasco. Il faut avoir beaucoup d’humilité de ce point de vue. Dans les quelques occasions où, faute d’avoir su trouver une bonne idée créative avec l’agence, nous avons renoncé en acceptant une idée que nous trouvions faible, ce fut toujours un échec. A partir du moment où vous cédez devant une création qui n’est pas terrible, vous le payez pendant toute la durée de vie du produit. 

Stanislas GRENAPIN 
Les supports se sont multipliés avec Internet, la publicité virale, etc. Renault manie extrêmement bien ces outils, en créant par exemple des sites dont on ne sait pas qu’ils ont été conçus par le constructeur. 

Stephen NORMAN 
Telle est la force du numérique. Même si vous ne l’avez pas prévu, des sites se créent dans les minutes qui suivent une communication jugée importante, que son impact soit positif ou négatif. Nous avons précédé le lancement de notre véhicule électrique par des communications sur les outils numériques pendant deux ans afin de préparer les consommateurs. 

Sur le plan commercial, je ne suis pas convaincu par les résultats de ces actions. En revanche, en termes de notoriété et d’image de marque, ces outils sont devenus absolument indispensables. 

Jacques SEGUELA 
Je voudrais féliciter Renault, qui a été le premier constructeur en Europe et l’un des premiers dans le monde à annoncer que la majorité de ses modèles fonctionnerait à l’énergie électrique dans un horizon déterminé. Il faudra bien sûr continuer de se battre pendant quatre ou cinq ans pour faire aboutir cette vision, car il faut que des prises soient accessibles pour chacun dans la rue. Il y a là un préalable. Renault a su néanmoins préempter, par cette annonce, un domaine d’innovation, ce qui lui donnera une longueur d’avance. 

Stanislas GRENAPIN 
La télévision continue-t-elle de concentrer environ 60 % des investissements publicitaires ? 

Stephen NORMAN 
La télévision représente 50 % à 55 % des dépenses de communication de Renault. Le numérique représente 15 % de nos investissements. La radio, le cinéma et l’affichage totalisent environ 10 %. Il reste environ 15 % à 20 % pour le « print », qui a subi le plus fort revers à la faveur de la montée en puissance du numérique. 

III) Echanges avec la salle 

François ROUDIER, porte-parole du CCFA (Comité des Constructeurs Français d’Automobiles) 
Un thème est apparu nettement dans la publicité automobile en France dans la période récente : le service. Peugeot et Renault ont créé des campagnes marquantes sur ce thème, Peugeot avec un film qui nous replongeait dans une époque révolue, montrant des modèles très anciens, Renault avec la campagne « Renault Minute » qui nous présente Monsieur Richard dans différentes situations sur le principe du « storytelling ». Avez-vous une approche différente pour vos publicités en matière de service, par comparaison avec les campagnes tournées vers la vente de modèles ? 

Olivier GANDOLFO 
Il est vrai que nous n’avons pas encore abordé la question du service alors qu’il s’agit d’un sujet primordial, plus large que celui de la publicité. Tous les constructeurs travaillent avec des réseaux de distribution constitués en majorité de concessionnaires qui sont des investisseurs privés. Ces partenaires tirent une partie substantielle de leurs revenus d’activités de service et d’après-vente, qui sont devenus essentielles à la rentabilité de leurs affaires. De notre côté, nous avons besoin qu’ils vendent des voitures pour vivre. Les campagnes de service doivent donc plaire aux consommateurs, qu’il faut notamment rassurer en termes de prix. Elles doivent aussi emmener avec elles l’ensemble des acteurs de la chaîne de service. 

Il ne s’agit pas seulement des concessionnaires mais aussi des petits garages de réparation automobile (les MRA), qui se sentent très impliqués également. Renault gère d'ailleurs de façon admirable sa communication de service en s’y attachant sur le long terme, avec un vrai fil rouge. 

Stephen NORMAN 
Nous avons été attaqués frontalement sur l’après-vente par les acteurs tels que Carglass. Si nous formons finalement une grande famille dans l’univers du véhicule neuf, où les constructeurs sont souvent soumis aux mêmes aléas, il n’en va pas de même en matière d’après-vente et ces concurrents d’un autre type nous ont causé de sérieux ennuis. Par pur esprit de revanche, nous avons attaqué fort avec le film dans lequel un client se rend chez un de ces professionnels qui se trouve désemparé devant un frein à main électrique. Lorsque ces acteurs affirment qu’ils réparent un véhicule Renault aussi bien que Renault, cela ne nous plaît pas. Je ne peux pas affirmer que cela soit un mensonge mais je doute que cela soit vrai. Peut-être ne sommes-nous finalement pas attaqués de façon assez forte sur nos modèles neufs pour faire émerger des idées réellement créatives en retour. 

Jacques SEGUELA 
Le service est l’avenir de l’automobile. Dans cinq, dix ou vingt ans, nous serons passés de l’automobile à l’automobilité. La voiture constitue aujourd'hui un achat. Elle sera demain une jouissance. Nous allons d'ailleurs passer d’une société de propriété à une société de jouissance. Tous les Français veulent être propriétaires de leur logement. Dans des pays plus avancés, il y a longtemps que les ménages louent leur maison et déménagent tous les deux ou trois ans. L’avenir de l’automobile se trouve dans la location, dans Autolib’ et dans le véhicule électrique, a fortiori en ville. Il suppose un changement complet du rapport du consommateur à la voiture. C’est d'ailleurs grave. Lorsque vous louez une voiture, si elle ne fonctionne pas, vous lui donnez des coups de pied ou vous la laissez sur le bord de la route, peu importe. Lorsque c’est votre voiture, votre rapport à l’objet est bien différent. L’automobile vit peut-être ses dernières années de complicité humaine avec le consommateur. Nous vendrons toujours autant d’automobiles mais le jour où nous ne serons plus propriétaires de nos voitures, nous perdrons le dernier objet de désir de la publicité. 

De la salle 
Nous voyons émerger une génération Y ou Z, animée par une vision différente de l’automobile de celle que Monsieur Séguéla mettait en avant (la voiture en tant que prolongement sexuel de l’homme). Sans doute ces changements imposeront-ils de revoir la communication pour considérer finalement la voiture comme un outil de transport d’un point A à un point B. Nous ne sommes plus dans Grace Jones ni dans l’étalage de puissance. Renault ou PSA doivent aussi communiquer sur ces arguments simples de mobilité. 

Jacques SEGUELA 
C’est vrai. La publicité doit cependant faire rêver. Si elle devient strictement pratique, mercantile et pragmatique, elle perd son efficacité. C’est ce qu’ont compris les fabricants de lessive. A l’époque, toutes les marques de détergents affirmaient laver plus blanc. Avec Woolite, nous avons dit « je lave plus belle » et toutes les stars françaises venaient fait leur numéro avec Woolite – lessive qui s’est le plus vendue à l’époque. Il ne faut jamais accepter le « terre à terre » pour un produit quel qu’il soit, a fortiori pour un produit vecteur de bonheur comme l’automobile. 

Olivier GANDOLFO 
Nous voyons tous des dizaines d’études réalisées auprès de groupes cibles, de générations Y ou Z, de nouvelles tendances, etc. La difficulté consiste à percevoir sans erreur les fondements rationnels des tendances d’évolution, car se tromper sur ce point a de graves conséquences. Il s’agit même d’une faute professionnelle. Il faut aussi, comme le souligne Jacques, continuer de vendre du rêve. Nous vendons un produit qui s’assimile, en termes de prix, à un produit de luxe alors que cet objet est fabriqué avec des standards de production de masse dans un contexte mondialisé. Nous aimerions cibler une campagne pour un pays donné alors que dans le même temps, l’image de la marque doit pouvoir véhiculer des valeurs transversales. J’ai exercé le métier de directeur marketing au Japon. A cette époque, Audi signait sa communication au Japon par le message « Vorsprung durch Technik » (le progrès par la technologie). Pas un Japonais sur 10 000 ne comprenait le sens de cette expression. Le mot « Technik » évoquait vaguement quelque chose. Le mot « Vorsprung » n’évoquait rien si ce n’est l’Allemagne, ce qui était suffisant. 

Nous avons récemment lancé 208 avec un slogan en anglais, « Let your body drive », dans une vision d’emblée européenne. Nous avons reçu une volée de bois vert en France. Dans de nombreux autres pays européens, l’utilisation de cette signature n’a soulevé aucune réaction hostile. En Italie, où le segment des petites voitures est très important, nous étions anxieux de la réaction des consommateurs. Ceux-ci se sont montrés particulièrement enthousiastes, à tel point que nous avons réalisé quelques études afin de mieux comprendre les raisons d’une telle adhésion. Le message en anglais n’a pas été compris mais cela n’avait pas d’importance. Le message « sonnait » bien en anglais et c’était le plus important – ce qui représente au passage une grande leçon d’humilité, tant nous passons du temps à peaufiner ce type de signature pour une campagne de communication. 
Plus généralement, je suis convaincu que la part de rêve, dans la publicité automobile, reste fondamentale. Nous n’allons pas faire rêver à propos de la reprise en côte ou de la puissance du moteur. Nous allons faire rêver autrement. Il pourra s’agir de l’art de se mouvoir en ville ou de l’agrément de faire du shopping en laissant sa voiture partout. Si nous commençons à dire que la voiture constitue le seul moyen de se rendre d’un point A à un point B, nous ne vendrons plus rien. 

Mathieu FLONNEAU 
Une exposition a lieu lors du Mondial de l'Automobile au hall 8, présentant des véhicules anciens et confrontant ainsi les créateurs contemporains à leurs aînés. Pourriez-vous faire de la publicité pour votre hall, Laurent Hériou, qui est un peu excentré mais qui est digne d’un grand intérêt ? 

Stanislas GRENAPIN 
Il est vrai que cette exposition est très bien faite. 

Laurent HERIOU 
Comme vous le savez, chaque année depuis 20 ans (1992), le Mondial de l'Automobile propose des expositions thématiques. Cette année, l’exposition porte sur l’automobile et la publicité. Le sujet est riche et il a fallu faire des choix draconiens. Nous y avons travaillé avec les constructeurs, puisque 15 marques participent à cette exposition. Un partenariat avec l’INA nous permet également de proposer des images animées (nouveauté par rapport aux éditions précédentes), ce qui montre bien l’évolution des styles au regard d’un message, d’une marque ou d’un modèle. 

François ROUDIER, CCFA 
Cette exposition témoigne aussi de l’histoire de la publicité. Les plus grands publicitaires et les affichistes du début du siècle ont signé pour l’auto. Nous voyons là que l’histoire de la publicité et celle de l’automobile sont intimement liées. 

De la salle 
Renault annonce 15 % d’investissements dans le « tous medias » pour une part attendue de 50 % des ventes à terme. Estimez-vous que ces investissements augmenteront dans les années à venir ? 

Jacques SEGUELA 
Stephen a été honnête. Tous les autres constructeurs mentent lorsqu’ils affirment investir 25 % de leurs budgets dans Internet. 

Stephen NORMAN 
En Europe, 94 % des acheteurs de voitures neuves se sont renseignés sur Internet avant de se rendre dans une concession. Nous ne pouvons donc pas nous priver des outils numériques pour établir un lien entre la publicité (qui suscite le premier désir d’achat) et la visite en concession. Le tournant que constitue Internet, en tant que relais publicitaire mais aussi en termes de préparation des ventes, est fondamentale. 

Jacques SEGUELA 
Nous sommes en retard. 

Stephen NORMAN 
Lorsque je consulte Internet pour préparer un achat, si la configuration du site ne propose pas une ergonomie suffisamment simple et conviviale, j’interromps la démarche. Je me rends alors sur un autre site ou j’abandonne tout simplement mon projet d’achat. Il en est probablement de même pour chacun de nous. Si le consommateur est assisté de façon simple et claire, cela devient un plaisir. Nous venons de lancer une nouvelle version de notre site de configuration, qui n’avait pas changé depuis le début des années 2000. Si vous essayiez de configurer votre Modus, l’interface vous demandait par exemple si vous souhaitiez un châssis court ou un châssis long – information essentielle pour la préparation du véhicule en usine. L’outil avait ainsi des fonctionnalités absurdes mais le changement total d’un tel outil est extrêmement complexe. Rien n’est plus facile que d’acheter des référencements chez Google. Faire en sorte, à travers de tels outils, que l’expérience numérique d’un client soit heureuse représente un défi d’une autre ampleur. 

De la salle 
La presse spécialisée est-elle, à vos yeux, vouée à une mort certaine ? 

Stephen NORMAN 
Nous n’avons pas encore atteint un équilibre entre les différents medias. Pour le moment, le « print » a subi le plus gros revers. La presse spécialisée n’est pas la plus mal lotie en raison de sa spécificité. Il existait en France un journal de référence sur le plan technique, Le Moniteur Automobile. Si un acteur du métier voulait se renseigner sur une caractéristique d’un modèle, il ouvrait immédiatement cette revue. Celle-ci a disparu en France (bien qu’elle existe toujours en Belgique), ce qui est une catastrophe car nous avons perdu une référence. Il eût fallu que nous fassions paraître davantage de pages de publicité dans ce support, qui était par ailleurs très ennuyeux à lire. 

Jacques SEGUELA 
Peugeot est de loin la marque qui, à mes yeux, a le mieux traité l’automobile. Pour ma part, je crois à la survie du papier, plus encore pour la presse spécialisée. L’automobile est le seul produit du monde qui a sa propre presse avec autant de titres, car c’est un produit vivant. La part du numérique ne dépassera sans doute pas 25 % ou 30 % des ventes. Il s’agit d’un passage obligé mais nous connaissons mal les retombées de ce media. On se rend compte aussi qu’en matière de communication politique, par exemple, Internet ne détrônera pas la télévision et ne fonctionne pas vraiment. Pour Barack Obama, le Net a été un moyen de collecter des fonds et d’organiser sa campagne. Pour ce qui est de la communication, la télévision a fait la décision. La presse spécialisée ne mourra pas mais il faut que les annonceurs investissent dans ces titres pour les soutenir. 

Olivier GANDOLFO 
Il ne faut pas confondre les investissements de medias (dont une partie vient au numérique) et les investissements de production ou de caractère technique, que le public ne voit pas. 

Aujourd'hui les marques investissent beaucoup plus d’argent sur les sites au sens large, qu’il s’agisse de configurateurs, d’imageries 3D, de pages Facebook ou de réseaux communautaires… Cela représente la partie cachée de l’iceberg. En termes d’investissements « medias », la part d’Internet atteint aujourd'hui 25 % dans les pays où elle est la plus élevée. Ce niveau est sans doute appelé à croître quelque peu du fait de la diffusion des tablettes et de la télévision connectée. Le numérique impose toutefois, pour des raisons techniques liées à la multiplication des standards spécifiques (Flash, Adobe, etc.), de dupliquer des messages, ce qui conduit à empiler des coûts. 
IV) Conclusion de l’Atelier 

Etienne FAUGIER 
Nous constatons une évolution de la publicité, des supports et des cibles alors qu’un élément reste au cœur de nos préoccupations : la société et le poids de l’Histoire. Les campagnes de publicité arrivent parfois à des moments opportuns et parfois à des moments qui le sont moins. La dimension culturelle entre en ligne de compte et incite à faire varier les messages que l’on adresse aux consommateurs, suivant le pays, la région ou la marque considéré. Nous avons là une belle illustration de la préoccupation qui était à l’origine de l’organisation de cet Atelier sociétal. 

Stanislas GRENAPIN 
Merci à tous pour votre participation. 






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