A l'instar de ses prédécesseurs, le président de la République se refuse d'employer le terme "rigueur", lui préférant ceux d'"efforts justes". Contre-productif ?
Atlantico : Ni dans l'interview de François Hollande du 14 juillet, ni à l'Assemblée nationale, le pouvoir en place n'a parlé de "rigueur ", préférant le terme d' "efforts justes ". La sémantique – d'aucuns diraient la langue de bois – est-elle indispensable à l'action politique ?
Jacques Séguela : La communication n'est pas une politique, sinon la politique de la fuite en avant. La communication est le haut-parleur de la politique, mais elle ne tient pas lieu d'action. Sa mission est triple, c'est où, quand, comment :
- où délivrer le message, car l'endroit fait partie de la communication. Pour le 14 juillet, il faut un décorum, ce n'est pas pareil que dans un studio TV
- quand, c'est le moment
- comment, c'est les mots
Je pense que le 14 juillet n'est pas le bon moment pour de grandes annonces qui seront oubliées dès les départs en vacances. François Hollande ne s'est pas exprimé plus avant car ce rendez-vous avec les Français ne peut être qu'un rendez-vous de temps heureux, de feux d'artifice, et pas du tout d'annonces dramatiques comme celles qu'il sera obligé de faire. Je pense que la grande rencontre télévisuelle avec les Français est pour le 15 septembre. Il ne faut pas la retarder beaucoup plus. Ca sera la rencontre des faits, et pas de l'effet.
François Hollande est surtout prisonnier de son démarrage de campagne. Comme il est parti tôt, il a commencé à lancer ses promesses il y a plus de douze mois, donc les Français ne peuvent pas attendre beaucoup plus. Il a encore un ou deux mois de répit, car c'est les vacances, mais il ne pourra pas plus attendre et se permettre de dire : "on va nommer un expert, on va se réussir, on va discuter..." On n'est plus dans le temps des paroles, mais celui des actes. Il n'a plus de marge de silence.
Je ne pense pas que ça ait été une erreur de ne pas être allé plus avant le 14 juillet dans les faits, mais il vaut mieux ne pas parler que de ne pas aller au bout de se qu'on a à dire. Les Japonais disent : "avant de parler, assure-toi que ce que tu as à dire est plus beau que le silence".
Peut-on donc dire que la sémantique nuit à l'action politique ?
Elle est le servant de la politique. Quand la politique n'a rien à dire, la communication n'a rien à faire. Il faut parler quand on a quelque chose à dire, c'est aussi simple que cela.
Je pense que François Hollande a voulu rétablir cette coutume du 14 juillet pour faire le contraire de son prédécesseur. C'est normal, tous les hommes politiques font ça. Mais ce n'était ni le moment, ni le lieu pour une grande déclaration de ligne politique.
Cette langue de bois ne décrédibilise-t-elle pas François Hollande ?
Elle l'oblige à une session de rattrapage. Il ne peut pas y en avoir deux.
Dès mai 2010, Alain Juppé demandait sur son blog qu'on arrête les circonlocutions autour du mot rigueur. Pourquoi les politiques se refusent-ils à utiliser certains termes, alors que les Français sont conscients des problèmes à affronter ?
Tous les hommes politiques, dans tous les pays du monde, ont refusé le terme de rigueur, ce qui est un peu ridicule car personne n'est dupe de l'hypocrisie de la chose. Cela fait partie des mœurs politiques. On attend qu'un jour il y ait un politique un peu normal qui aille au bout des choses et qui ait un langage normal.
Bien sûr qu'on va entrer dans la rigueur, tous les Français le savent, et plus on les fera lanterner là-dessus, plus le réveil sera douloureux et la réaction brutale. Il faut qu'en septembre, impérativement, Hollande annonce la couleur.
Vous appelez à l'utilisation par les hommes politiques d'un langage "normal". Pourquoi n'en trouve-t-on pas aujourd'hui ?
Ils ne sont pas de leur temps. Les hommes politiques sont restés dans le XXè siècle ; nous avons d'ailleurs connu une campagne du XXè siècle, qui a reproduit les slogans de Mitterrand. De "Le changement c'est ici et maintenant", on est passé à "Le changement c'est maintenant", de "La force tranquille", on est passé à "La France forte"… Tout cela est un peu ressassé et plus vraiment de circonstance aujourd'hui. Les hommes politiques n'ont pas encore fait le saut. Il faut dire que les Français eux-mêmes sont restés attachés à leur XXè siècle. Ils ont beaucoup de mal à accepter les contraintes du XXIème : la mondialisation, le chômage...
L'homme politique du XXIème siècle devra donc parler normalement aux Français ?
Exactement, et je pense que François Hollande a la capacité de le faire. Et sa rentrée en communication doit prendre ce pas là.
N'est-ce pas ce que font Marine Le Pen ou Jean-Luc Mélenchon ?
Oui, mais c'est toujours plus facile quand on est dans l'opposition, dans les extrêmes, quand on peut tout dire, d'avoir n'importe quel langage. Quand on a en charge la France, on est obligé de choisir ses mots et on est tenu à plus de retenue. Mais cette retenue ne doit pas aller jusqu'à se cacher et ne pas appeler un chat un chat. La rigueur s'appelle la rigueur.
Propos recueillis par Morgan Bourven
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